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Vente d’immeuble et réticence dolosive

Cass, 3ème civ, 21 novembre 2024, n°23-10.180

Une société civile immobilière a procédé en 2014 à la vente, au profit d’une autre société civile immobilière, de divers lots situés dans un ensemble immobilier constitué en copropriété.

Deux ans plus tard, le plancher d’un appartement situé au-dessus d’un des lots vendus s’est affaissé.

À la suite d’une expertise judiciaire, l’acquéreur a fait délivrer une assignation au vendeur en indemnisation de ses différents chefs de préjudices sur le fondement de la réticence dolosive.

Par un arrêt rendu le 4 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris a déclaré la venderesse responsable sur le fondement de la faute dolosive et a prononcé une réouverture des débats s’agissant de l’évaluation du préjudice de l’acquéreur au titre d’une perte de chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses (Cour d’appel de Paris, 4 novembre 2022, n°20/08564).

Pour déclarer le vendeur responsable du préjudice causé à l’acquéreur, les juges d’appel avaient relevé, au vu du rapport d’expertise judiciaire, que des travaux de démolition de cloisons avaient été réalisés antérieurement à la vente au niveau du premier étage du bâtiment, ce qui avait alors justifié le renforcement de la structure de l’immeuble par la pose de sabots.

Estimant que les travaux confortatifs réalisés en 2002 avaient été suffisants pour stabiliser le plancher de l’appartement situé au-dessus du lot vendu, le vendeur n’avait pas estimé nécessaire d’informer l’acquéreur de la réalisation de ces travaux lors de la vente survenue 12 ans plus tard, en l’absence de désordres.

Sur ce, les juges d’appel avaient considéré qu’ayant eu connaissance de la réalisation de travaux structurels antérieurs, le vendeur aurait dû informer l’acquéreur non seulement de la survenue de désordres, mais également de la nature et de l’importance des travaux de reprise « ce qui aurait permis à ce dernier de s’assurer du bon état structurel de l’immeuble et de la pérennité des mesures prises », de sorte qu’en s’abstenant de le faire, il s’était rendu coupable d’une faute dolosive au sens des dispositions de l’article 1116 alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
Saisie d’un pourvoi, par un arrêt en date du 21 novembre 2024 (Cass, 3ème civ, 21 novembre 2024, n°23-10.180), la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel, au motif que : 
« En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir le caractère intentionnel du défaut d’information de l’acquéreur, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

Cette décision est intéressante en ce qu’elle donne l’occasion de rappeler la définition jurisprudentielle du dol dans le cadre d’une vente immobilière.

Antérieurement à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, l’article 1116 alinéa 1er du code civil disposait que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.

Il était ajouté que le dol ne se présume pas et doit être prouvé.

La nouvelle rédaction, codifiée désormais sous l’article 1137 du code civil, définit le dol comme étant « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. »

Outre l’existence de manœuvres ou de mensonges, le dol implique la preuve du caractère intentionnel du défaut d’information de l’acquéreur, puisque le dol n’est rien d’autre qu’une faute intentionnelle qui a pour but et pour effet de provoquer chez l’acquéreur une erreur déterminante de son consentement.

Il reste néanmoins, à la lecture de l’article 1137 du code civil, la connaissance dans l’esprit du vendeur du caractère déterminant pour l’acquéreur de l’information qui lui est dissimulée (« … d’information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. »).

Par un arrêt en date du 15 juin 2022, la Haute juridiction a très clairement indiqué que le simple constat de l’existence d’informations mensongères dans l’intention de tromper l’acquéreur suffisait à caractériser le dol (Cass, 3ème civ, 15 juin 2022, n°21-13.286).

Dans le cadre de cette affaire, rendue pour la première fois sur le fondement des dispositions de l’article 1137 du code civil, le dol n’avait pas été retenu en appel, au motif qu’il n’était pas démontré que le vendeur, qui avait dissimulé à l’acquéreur la présence d’échouages saisonniers d’algues sargasses à proximité de l’immeuble vendu, avait connaissance du caractère déterminant de cette information pour l’acheteur.

L’arrêt avait été cassé, au motif, selon la Cour de cassation, qu’il suffisait de démontrer l’obtention par ruse du consentement du cocontractant, par des manœuvres ou par un silence coupable, peu important la connaissance par le vendeur du caractère décisif pour son acheteur des informations tues.

Sur ce, nonobstant les dispositions de l’article 1137 alinéa 2 du code civil, il est indifférent de démontrer la connaissance pour le vendeur du caractère déterminant de l’information dissimulée dans le consentement de l’acquéreur et il suffit, pour caractériser l’existence d’un dol, d’établir l’existence d’une manœuvre ou d’une dissimulation intentionnelle ayant eu un effet déterminant sur le consentement de l’acquéreur.

L’arrêt rendu le 21 novembre 2024 revient pour sa part sur la nécessité de démontrer le caractère intentionnel du défaut d’information, à savoir la manœuvre par dissimulation intentionnelle ou par mensonge délibéré.

Ce faisant, la Haute juridiction nous rappelle que la faute dolosive ne se présume pas et que le caractère intentionnel du silence gardé par le vendeur doit toujours être démontré.

L’arrêt du 21 novembre 2024 se distingue donc d’un arrêt précédemment rendu par la chambre commerciale le 9 janvier 2019 (Cass, com, 9 janvier 2019, n°17-28.725), qui avait considéré que, dès lors qu’il avait été constaté que les informations cachées étaient de nature à affecter les résultats et les perspectives de la société cédée, il pouvait en être tiré pour conséquence que le silence gardé l’avait été intentionnellement :

« Le silence gardé par (le vendeur) sur ces informations, dont il ne pouvait ignorer l’importance dans la mesure où elle faisait peser un aléa sur la pérennité des sociétés qu’il cédait, était nécessairement intentionnel. »

La pérennité du caractère intentionnel du dol et de sa démonstration nécessaire se trouve ainsi confirmée.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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