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Résurrection de l’article 1792-7 du code civil

Cass, 3ème civ, 6 mars 2025, n°23-20.018, Publié au bulletin

L’article 1792-7 du code civil dispose que l’élément d’équipement, y compris ses accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, est exclu du régime de la garantie décennale des constructeurs.

L’équipement à vocation exclusivement professionnelle est donc soustrait du droit de la construction, alors même que les travaux réalisés constituent un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil, puisque le régime qui lui est applicable en cas de désordre est celui de la responsabilité contractuelle de droit commun, avec pour délai de prescription celui de l’article 2224 du code civil.

Depuis l’ordonnance du 8 juin 2005, la Cour de cassation n’a jamais eu l’occasion de valider l’application de l’article 1792-7 du code civil dans une affaire dont elle a eu à connaître, ce qui en 20 ans ne peut manquer d’interpeller.

De façon systématique l’article 1792-7 du code civil s’est effacé devant l’article 1792.

« Vu les articles 1792 et 1792-7 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de la SHCN fondées sur la garantie décennale, l’arrêt retient que la conduite métallique fermée acheminant l’eau du canal de Nyer à la centrale hydro-électrique exploitée par la SHCN est un équipement qui a pour fonction exclusive de permettre la production d’électricité par cet ouvrage à titre professionnel ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la construction, sur plusieurs kilomètres, d’une conduite métallique fermée d’adduction d’eau à une centrale électrique constitue un ouvrage, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

« Mais attendu qu’ayant relevé que les travaux confiés à la société Couturier concernaient des travaux de charpente métallique, couverture, bardage, création de poutres et poteaux métalliques, que l’ensemble charpente-chemin de roulement était constitué d’une structure fixe ancrée au sol, dont l’ossature métallique reposait sur des poteaux érigés sur des fondations en béton et qui prolongeait un bâtiment trentenaire préexistant dans la halle 1 et prenait appui pour une de ses deux files sur la halle 2 et sa structure, que la société Couturier avait livré une structure fixe sous-dimensionnée et, la société Seval, un pont roulant affecté d’un excès de masse incompatible avec l’utilisation de la structure fixe et ayant retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que cet excès de masse avait contribué au dommage, la cour d’appel, qui, motivant sa décision et répondant aux conclusions prétendument délaissées, a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que cette installation constituait un ouvrage et que son ancrage au sol et sa fonction sur la stabilité de l’ensemble permettaient de dire qu’il s’agissait d’un ouvrage de nature immobilière, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »

  • Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-19.377 ; 21-19.547, s’agissant du câblage informatique d’un immeuble affecté à un usage de bureaux, dès lors que l’élément d’équipement répond aux besoins de fonctionnalité de l’ouvrage, d’où la prise en compte de la spécificité de l’activité professionnelle exercée dans l’ouvrage.

« 12. Ayant relevé que le câblage informatique avait pour vocation le transport de signaux électriques d’un équipement électronique à un autre, en dégradant au minimum le signal, et que les prises numériques qui y étaient associées avait pour but de mettre en fonctionnement les équipements ainsi reliés, la cour d’appel en a exactement déduit que l’installation numérique, qui n’était pas inerte, relevait de la garantie biennale de bon fonctionnement. »

  • Cass, 3ème civ, 21 septembre 2022, n°21-20.433, Publié au bulletin, s’agissant du remplacement d’une couverture comportant une installation photovoltaïque intégrée, l’arrêt d’appel étant censuré au motif qu’il avait été « constaté que les panneaux photovoltaïques participent de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment. »

Le simple fait que l’élément d’équipement participe à la réalisation d’un ouvrage dans son ensemble, même destiné à y recevoir une activité professionnelle, excluait donc l’application de l’article 1792-7 du code civil, ce qui permettait de mobiliser la garantie décennale des constructeurs.

En quelque sorte, la jurisprudence consacrait ainsi une sous distinction d’ouvrage, à savoir un espèce d’ « ouvrage équipement » restant soumis au régime de l’article 1792 du code civil, avec pour conséquence de faire perdre tout véritable intérêt au régime dérogatoire prévu par le législateur.  

L’arrêt qui a été rendu le 6 mars 2025 (Cass, 3ème civ, 6 mars 2025, n°23-20.018) dit tout autre chose, puisque l’arrêt d’appel, qui avait écarté l’article 1792-7 du code civil, a été cassé au motif que :

« Les travaux de voirie et de réseaux réalisés par la société T.M participent de la réalisation d’un ouvrage et que les débordements d’eaux non filtrées sur les pistes de lavage sont consécutifs à l’inadaptation du séparateur d’hydrocarbures mise en place lors de ces travaux. »

(…)

« En statuant ainsi, après avoir constaté que le séparateur d’hydrocarbures constituait un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavages, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes (Cour d’appel de Rennes, 4ème chambre, 1er juin 2023, n°21/07033) était en réalité conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, en faisant une stricte application du principe selon lequel l’article 1792-7 du code civil devait être écarté dès lors que l’élément d’équipement (séparateur d’hydrocarbures) participe à la réalisation d’un ouvrage (station de lavage) dans son ensemble. 

Si le terme « dans son ensemble » ne figure pas expressément dans la motivation de l’arrêt d’appel, il reste que la présence d’un séparateur d’hydrocarbures est effectivement indispensable à la fonctionnalité de l’ouvrage (station de lavage), au même titre qu’une couverture sur une toiture, quand bien même serait-elle constituée de panneaux photovoltaïques.

Il était ainsi tenu compte de la spécificité de l’activité professionnelle exercée dans l’ouvrage pour écarter le régime du process prévu par l’article 1792-7 du code civil.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, avait donc la possibilité de confirmer sa jurisprudence et en quelque sorte de sonner le glas, à plus ou moins brève échéance, d’un régime dérogatoire qui avait pourtant été expressément codifié en 2005.

 C’est un tout autre chemin sur lequel s’est engagée la Cour de cassation par son arrêt du 6 mars 2025, en censurant l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes pour violation de l’article 1792-7 du code civil, dès lors qu’il avait été « constaté que le séparateur d’hydrocarbures constituait un élément de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage. »

Sur ce, il apparaît raisonnable de considérer qu’avec cet arrêt du 6 mars 2025, nous ne sommes pas en présence d’une simple évolution jurisprudentielle, mais d’une révolution qui constitue la source d’une véritable résurrection, dès lors que l’application de l’article 1792-7 du code civil ne peut plus être contrariée par l’apport que constitue l’élément d’équipement à la fonctionnalité de l’ouvrage.

Nous en revenons donc à une stricte application de la ratio legis.

Le fait est qu’en l’espèce, l’élément d’équipement incriminé (séparateur d’hydrocarbures) comme étant la cause des désordres a bien pour fonction exclusive de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, ce qui n’est autre que la définition donnée par la loi.

En un an, la Cour de cassation, après son arrêt du 21 mars 2024 mettant un terme à la notion de quasi-ouvrage (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694), aura bouleversé l’économie du droit de l’assurance construction, en ne faisant rien d’autre que d’affirmer la nécessaire application des textes de loi, après s’en être trop longtemps écartée par des interprétations qui lui étaient tout à fait personnelles.

Il reste à la Cour de cassation de confirmer cette analyse, lorsqu’elle sera amenée à statuer sur le pourvoi qui a été inscrit sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 3 octobre 2023 (Cour d’appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 3 octobre 2023, n°22/05113), sur renvoi de cassation de l’arrêt en date du 21 septembre 2022, au sujet d’une installation photovoltaïque intégrée, les juges d’appel ayant considéré, pour écarter cette fois-ci l’article 1792-7 du code civil, que :

« Il en résulte que l’installation photovoltaïque ainsi intégrée dans la toiture constitue dans son ensemble un ouvrage de construction ayant pour fonction la production d’électricité mais également le clos et le couvert de l’immeuble, relevant ainsi de l’obligation d’assurance.

Le jugement doit donc être confirmé de ce chef.

18- Dès lors que l’ouvrage réalisé par la société TCE Solar ne s’analyse pas en une simple mise en place d’éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle, que les boitiers défectueux étaient intégrés à l’ouvrage, et présentaient un risque d’incendie de la couverture, rendant ainsi l’ouvrage impropre à sa destination, la société Axa France IARD doit sa garantie au titre de la responsabilité décennale de son assurée en application de l’article 1792 du code civil. »

Il n’apparait donc pas déraisonnable de miser cette fois-ci sur une nouvelle cassation, pour admettre l’application de l’article 1792-7 du code civil, qui avait été tout précisément écartée en 2022…

Tel que le disait Eschyle : « On ne lutte pas contre les forces du destin. »

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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