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Recours entre coobligés : la résistance s’organise !

(A propos de : Cour d’appel de Rennes, 4ème chambre, 15 janvier 2021, n° 20/05170)

Nous savons que par trois arrêts rendus le 16 janvier 2020 (civ. 3e, 16 janvier 2020, n° 18-25.915,18-21.895 et 16-24.352), la Cour de cassation a très clairement indiqué que les recours entre coobligés ne sont pas soumis au délai spécial de prescription de l’article 1792-4-3 du Code civil, mais à celui de droit commun des articles 2224 du Code civil et L 110-4 du Code de commerce, alignant ainsi sa jurisprudence sur celle du Conseil d’État.

Pour justifier cette position, la Cour de cassation indiquait alors que : « le délai de la prescription de ce recours et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil ; qu’en effet, ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du Code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants ».

Par ailleurs, après avoir déjà indiqué que le point de départ du délai de prescription du recours d’un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, n’est pas la date de réception de l’ouvrage (civ. 3e, 8 février 2012, n° 11-11.417), la Cour de cassation prenait soin de préciser l’évènement qui devait en tenir lieu, compte tenu du caractère glissant de la prescription des articles 2224 du Code civil et L 110-4 du Code de commerce.

La doctrine n’avait pas alors manqué de rappeler les 2 hypothèses possibles, à savoir :

  • Un point de départ du délai de prescription à compter du jour de la première mise en cause dans le cadre d’une instance en référé expertise, impliquant alors la nécessité d’anticiper une potentielle mise en cause ultérieure de la responsabilité par le maître de l’ouvrage, selon la teneur des conclusions du rapport d’expertise judiciaire.
  • Un point de départ du délai de prescription à compter de la première mise en cause de la responsabilité, par le biais d’une assignation au fond ou en référé provision, selon ce qui a toujours été considéré par la jurisprudence administrative (CE, sous-sect. réun., 10 février 2017, n° 391722).

C’est très certainement la solution la plus regrettable qui a été en définitive confirmée par un des arrêts du 16 janvier 2020 (civ. 3è, 16 janvier 2020, n° 18-25.915), la Cour de cassation indiquant en effet que :

« Attendu qu’il s’ensuit que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du Code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;
Attendu que la Cour de cassation a jugé que l’assignation en référé expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal met en cause la responsabilité de ce dernier et constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants (civ. 3è, 19 mai 2016, pourvoi n° 15-11.355) ; »

Par deux arrêts en date du 1er octobre 2020 (civ. 3e, 1er octobre 2020, n° 19-21.502, n° 19-13.131), la Cour de cassation a très clairement confirmé sa position, en ce sens que : « l’assignation en référé expertise délivrée par le maître d’ouvrage à un constructeur met en cause la responsabilité de celui-ci et constitue le point de départ du délai de ses actions récursoires contre un sous-traitant ou les autres constructeurs ».

La position adoptée par la Cour de cassation a été vivement critiquée par la doctrine (en ce sens : Cyrille Charbonneau : « Controverse sur le point de départ de recours entre coobligés » – RDI n° 11, novembre 2020, p. 609).

En effet, la mesure d’instruction qui est sollicitée sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, l’est avant tout procès et pour établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ce qui par nature ne préjuge en rien des responsabilités encourues, alors de surcroît que la matérialité des désordres allégués n’est pas encore établie, pas plus que leur imputabilité.

On peine donc à comprendre comment une assignation en référé expertise, délivrée à la requête d’un maître de l’ouvrage, pourrait être de nature à mettre en cause la responsabilité d’un constructeur.

Aussi contestable soit-elle, cette analyse n’est pas nouvelle et la Cour de cassation a toujours indiqué que l’assignation en référée expertise constituait bien une mise en cause, de nature à faire courir le délai de prescription de l’action récursoire (civ. 3è, 19 mai 2016, n° 15-11.355) :

« Qu’en statuant ainsi, alors que l’assignation en référé expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal met en cause la responsabilité de ce dernier et constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Si elle n’est pas, la position adoptée par la Cour de cassation, qui divergent sur ce point de la jurisprudence administrative, n’en est pas moins regrettable sur le plan pratique, puisqu’elle implique de devoir mettre en œuvre diverse mises en cause à titre préventif, à seule fin de préserver de recours éventuels en cas de mise en cause effective future de la responsabilité du constructeur assigné en référée expertise par le maître d’ouvrage.

Un revirement de jurisprudence aurait donc été très certainement opportun, afin qu’il puisse être considéré Que le délai de prescription de l’action et soit ne court qu’à compter de la mise en cause effective de la responsabilité du constructeur dans le cadre d’une action en référée provision ou d’une procédure au fond.

C’est tout précisément ce qui a été jugé par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt en date du 15 janvier 2021 (CA Rennes, 4è chambre, 15 janvier 2021, n° 20-05170), en toute connaissance de cause de la jurisprudence de la Cour de cassation, encore tout récemment confirmée par les deux arrêts du 1er octobre 2020 :

« Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du Code civil. Il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Cette règle résulte des textes eux-mêmes et n’est pas issue d’un revirement de jurisprudence de la part de la Cour de cassation. Il n’y a donc pas lieu de dire que cette règle ne sera applicable qu’à compter du 16 janvier 2020.
Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable.
La seule assignation en référé aux fins de désignation d’un expert ne permet pas à un constructeur ou à l’un de ses sous-traitants de savoir qu’il sera appelé en paiement. Le fait d’attraire à l’expertise l’ensemble des parties en cause est en effet nécessaire pour assurer que les conclusions de l’expert seront opposables à toutes pour le cas où l’expert viendrait à proposer leur mise en cause. En outre, même au vu du dépôt du rapport de l’expert, la mise en cause récursoire d’une partie n’est pas certaine, les conclusions de l’expert pouvant toujours être contestées ou ne pas être prises en compte par la partie agissante. En outre, tant qu’elle n’est pas elle-même appelée en paiement, une partie risque de se voir opposer le défaut d’intérêt à agir si, pour être elle-même garantie, elle assigne une autre partie.
Il en résulte qu’une partie n’a connaissance de ce que sa responsabilité est mise en cause dans le cadre d’un recours entre constructeurs et sous-traitants qu’à la date à laquelle elle est assignée en paiement ou en exécution forcée, que ce soit au fond ou à titre provisionnel.
M. X et la société MAAF n’ont eu connaissance des demandes en paiement formées à leur encontre que par l’assignation qu’il leur a été délivrée le 17 septembre 2014, de sorte qu’il s’est écoulé moins de cinq ans avant l’introduction de l’instance engagée par eux le 9 juillet 2015 contre la société Cardinal. Leur action en garantie dirigée contre cette dernière n’est donc pas prescrite. Il y a lieu d’infirmer l’ordonnance sur ce point. Il s’était également écoulé moins de cinq ans lorsque, par conclusions notifiées en cours d’instance, M. X et la société MAAF ont présenté des demandes contre la SMABTP, prise en sa qualité d’assureur de l’Etablissement ».

A notre connaissance, il s’agit de la seule décision rendue en cause d’appel depuis les deux arrêts de la Cour de cassation du 1er octobre 2020.

Il reste donc à espérer qu’elle soit le signe d’une résistance qui s’organise pour infléchir une jurisprudence que les praticiens seraient enclins à voir évoluer au plus vite.

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