L’Ordonnance n°2005.658 du 8 juin 2005 a établi une liste d’ouvrages et d’équipements exclus du régime de l’assurance RC décennale obligatoire, en indiquant à l’article L 243-1-1-II du code des assurances que :
« II.-Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
Cette disposition, qui avait été négociée dans le cadre des débats parlementaires, avait un sens, puisqu’il s’agissait d’équilibrer la charge des risques, trop préjudiciable entre les branches RC et RC décennale, dans le cadre d’une régulation économique de la sinistralité affectant des existants.
Nonobstant la rédaction claire et précise de l’article L 243-1-1-II du code des assurances, la Cour de cassation a cru devoir s’abstenir de l’appliquer par un arrêt du 15 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n°16-19.640), faisant office de jurisprudence.
Le clou a été enfoncé par un arrêt du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n°16-18.120), faisant office de crucifixion, la Cour de cassation opposant aux assureurs son analyse, très clairement contra legem, en écartant expressément les dispositions de l’article L 243-1-1 II du code des assurances lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur l’existant rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.
Malgré les critiques de la doctrine, la Cour de cassation a maintenu sa position, de façon inflexible, durant 7 ans, jusqu’à son arrêt du 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin), opérant un nouveau revirement de jurisprudence, en indiquant qu’il convenait désormais de juger que :
« Si les éléments d’équipement installés en replacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs. »
Que la Cour de cassation procède à des revirements de jurisprudence du fait de la modification de l’interprétation de la règle de droit sous l’influence de la doctrine, de l’évolution des contextes sociétaux et économiques, ou bien encore pour des considérations tout simplement pragmatiques (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-21.305, Publié au bulletin), n’est pas chose nouvelle et s’avère salutaire, puisqu’elle témoigne en définitive de la vitalité du droit.
Pour autant, l’attitude de la plupart des juridictions concernant l’application de la règle de droit au sujet des éléments d’équipement adjoint à des existants à la suite du revirement de jurisprudence du 15 juin 2017, puis du 26 octobre 2017, et de la Cour de cassation elle-même par son arrêt du 21 mars 2024, est l’occasion de s’interroger sur l’office du juge, c’est-à-dire l’utilisation du pouvoir qui lui est conféré pour dire le droit.
En premier lieu, il apparait nécessaire de rappeler que l’office de dire le droit implique nécessairement que le juge puisse interpréter la loi, qu’elle soit nationale ou communautaire.
Le pouvoir d’interprétation de la loi qui est conféré au juge est parfaitement établi et est au-demeurant souhaitable, non seulement pour appliquer la loi lorsqu’elle est imparfaitement rédigée, mais également afin de pouvoir l’adapter à l’évolution de son environnement.
Dans son discours préliminaire au code civil, Portalis écrit que la « science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun. La science du magistrat est de mettre ces principes en action (…) de les étendre pour une application sage et raisonnée, et donc d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre de suffit pas. »
Mais encore faut-il que la lettre ne suffise pas.
En second lieu, l’office de dire le droit peut conduire le juge à faire le droit et donc, par cette entrefaite, à devenir lui-même une source de droit.
C’est ainsi que face au silence de la loi, c’est bien au juge qu’il incombe de faire le droit, afin de pouvoir l’appliquer et les constructions prétoriennes issues de l’office du juge qui a statué praeter legem ne manquent pas (troubles anormaux du voisinage, abus de droit…).
Mais encore faut-il que les solutions nécessaires au juge, pour rendre le droit, ne se trouvent pas dans la loi.
En troisième lieu, si « le juge est la bouche qui prononce les paroles de la loi » (Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, Livre XI, Chapitre VI), il s’impose que lorsque la loi existe et qu’elle est parfaitement claire, le juge se doit impérieusement de l’appliquer !
La loi est votée par la représentation nationale qui est élue et promulguée au nom du peuple française en vertu de l’article 56 de la Constitution, de sorte qu’il n’incombe très certainement pas au juge de la réécrire lorsqu’elle est parfaitement compréhensible.
Montesquieu n’a jamais reconnu d’autres pouvoirs au juge que celui de juger et non de légiférer et c’est bien ce qui interpelle à la lecture de l’arrêt du 21 mars 2024, lorsqu’en toute transparence la Cour de cassation expose les raisons pour lesquelles elle a pu décider, en juin et en octobre 2017, d’écarter en toute conscience, et de façon contra legem, les dispositions de l’article L 243-1-1-II du code des assurances :
« Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination. »
« Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitant existant. »
« Ces objectifs n’ont, toutefois, pas été atteints. »
A cet égard, contrairement à ce qu’elle écrit dans son arrêt, la Cour de cassation n’a pas simplement « précisé », en 2017, la « portée des règles » qu’elle avait précédemment établies, puisqu’elle a purement et simplement écarté l’application des dispositions de l’article L 243-1-1-II du code des assurances, pour imposer une analyse parfaitement contraire à la loi ayant vocation à faire jurisprudence.
Au regard des seuls principes, le travail de réflexion de la Cour de cassation qui est exposé 7 ans plus tard dans l’arrêt du 21 mars 2024 relevait plus certainement de la compétence du législateur, s’il était advenu nécessaire de procéder à une réécriture de l’ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005.
De la même façon que c’est au législateur qu’il revient de procéder à des études d’impact concernant l’application du droit et non nécessairement au juge de se substituer à lui, pour adapter sa jurisprudence en gré de ses analyses.
En dernier lieu, il pourra être ajouté que l’office de dire le droit, implique nécessairement d’accepter le principe de la contradiction et du débat des idées dans l’enceinte de justice.
Alors que l’article 5 du code civil prohibe les arrêts de règlement, ce qui implique que le droit ne puisse être soumis à l’autorité d’un précédent (de sorte qu’un juge ne peut se contenter de se référer à un jugement antérieur pour le seul motif de son propre jugement), durant 7 ans l’attendu de principe de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2017 aura été repris mot à mot dans la plupart des décisions de justice, sans qu’il soit procédé à une analyse démonstrative sur le plan juridique et pour cause…
Les décisions rendues depuis 7 ans n’auront eu pour seul mérite que de reprendre l’attendu décrété par la Cour de cassation en 2017, sans rien y comprendre et au mépris de la règle posée par la loi.
Ceux qui auront décidé de résister auront payé – souvent – le prix de leur affront et parfois au plus fort, le mot d’ordre étant celui de se plier à la règle et de se taire.
Afin de nourrir la réflexion et pour seul exemple, il sera simplement précisé que pour sanction d’avoir résisté à la jurisprudence de la Cour de cassation de 2017, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2024, la société AXA France IARD aura été préalablement condamnée devant le Tribunal de grande instance de Rodez au paiement d’une somme de 4.500,00 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive (jugement du 3 juin 2019), puis devant la cour d’appel de Montpellier (arrêt du 20 avril 2022) au paiement d’une somme de 10.000,00 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive !
L’arrêt de la cour d’appel de Montpellier est ainsi motivé (Cour d’appel de Montpellier, 4ème chambre civile, 20 avril 2022, n°19-04078) :
« Si l’exercice de la défense ne peut donner lieu à indemnisation, sauf cas d’abus, force est de constater que le premier juge a parfaitement relevé les circonstances le caractérisant de la part d’Axa dans un litige dénué d’ambiguïté dans la détermination du lien de causalité entre le fait générateur de l’incendie et le préjudice (…) Il sera ajouté qu’Axa avait pris la direction du procès et qu’elle poursuit en cause d’appel une réformation d’une décision parfaitement motivant en excipant de jurisprudences anciennes ou contraires à ce qu’elle avait elle-même soutenu dans les instances précédentes alors qu’elle est dotée de services juridiques et de conseils particulièrement aptes à apprécier la probabilité de succès ou d’échec d’une voie de recours, de sorte que, retardant par l’exercice de cette voie de recours à l’encontre d’un jugement non assorti de l’exécution provisoire, l’indemnisation légitime des époux Y et de leur assureur, elle a manifestement un comportement procédural particulièrement abusif… »
L’arrêt qui a été rendu le 21 mars 2024 par la Cour de cassation nous offre une véritable leçon, à plusieurs égards, qui mérite de s’y arrêter à l’heure où il devient de plus en plus difficile d’être simplement écouté, à défaut d’être entendu.
Le mérite de la direction technique et des confrères qui auront pris la décision de soutenir le pourvoi, qui aboutit à une cassation pour violation de la loi, n’en est que plus grand, sans méconnaître également une certaine forme de courage qu’il aura fallu à la Haute juridiction pour reconsidérer sa jurisprudence, sans même recourir à la politique des petits pas.
Enfin, il n’est pas certain que l’Intelligence Artificielle (IA) aurait conseillé à l’assureur d’inscrire un pourvoi.
Rien ne remplacera jamais l’intelligence humaine et son sens de la résistance lorsque le langage n’est pas raison, et l’office de faire et de rendre justice ne se portera à terme que plus mal à vouloir la museler lorsqu’elle ne demande qu’à être entendue et respectée.