Par plusieurs arrêts intervenus en 2017, la Cour de cassation a précisé les contours de la réception judiciaire, ce qui est l’occasion d’en rappeler les fondements et les intérêts.
La réception judiciaire est définie par les dispositions de l’article 1792-6 du Code civil qui prévoit que : « La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »
Il est donc prévu qu’à défaut de réception amiable expresse ou tacite de l’ouvrage par les parties, elle peut intervenir par l’intermédiaire du juge à l’occasion d’un procès.
Contrairement à la réception tacite, qui est de création purement prétorienne, la réception judiciaire est donc prévue par la loi.
L’intérêt reste bien entendu de bénéficier des garanties légales et obligatoires des constructeurs, lesquelles ne court qu’à compter de la réception de l’ouvrage.
Le prononcé d’une réception judiciaire suppose bien entendu une discussion et un désaccord sur la réception de l’ouvrage. En tout état de cause, seules les parties au contrat de construction, maître d’ouvrage ou locateur d’ouvrage, peuvent la demander (Cass., 3eme civ, 23 avril 1997, n° 95-18317), le Juge devant être saisi d’une demande par une des parties au procès, puisque ne pouvant se prononcer d’office.
Si les dispositions de l’article 1792-6 du Code civil ne prévoient que le caractère supplétif de la réception judiciaire, les conditions en ont été fixées par la jurisprudence qui a également précisé les critères pour en écarter à l’inverse la possibilité.
C’est ainsi qu’une réception judiciaire ne peut intervenir en présence de malfaçons innombrables et concernant presque chacune des prestations réalisées et dont certaine remettent en cause la solidité de la construction (Cour d’appel de Paris, 29 avril 2009).
Un ouvrage qui doit être démoli est insusceptible de faire l’objet d’une réception judiciaire (Cass, 3ème civ, 16 février 2005, n° 03-16266 et 03-17852).
Dans le même sens, un immeuble affecté de malfaçons et qui ne peut être mis en service n’est pas en état d’être reçu (Cass, 3ème civ, 11 janvier 2012, n° 10-26898).
Pour autant, il semble admis que la réception judiciaire peut parfaitement intervenir avec des réserves (Cass, 3ème civ, 30 octobre 1991, n° 90-12659), de sorte que l’existence de défauts et de désordres n’excluent pas le prononcé d’une réception judiciaire.
Mais classiquement, deux critères jurisprudentiels prédominent pour solliciter et obtenir le prononcé d’une réception judiciaire (Cass, 3ème civ, 30 octobre 1991 précité) : le caractère effectivement habitable de l’ouvrage et le refus injustifié, d’une des parties au marché de travaux, de procéder à sa réception.
La condition principale réside dans la question de savoir si l’ouvrage est en état d’être reçu (Cass, 3ème civ, 30 juin 1993, n° 91-18696 ; Cass, 3ème civ, 26 janvier 2010, n° 08-70220).
Un premier arrêt en date du 2 février 2017 (Cass, 3ème civ, 2 février 2017, n° 16-11677) a ainsi jugé au visa de l’article 1792-6 du Code civil, que :
« Attendu que, pour rejeter la demande de M. et Mme X…, l’arrêt retient que le refus exprès des maîtres de l’ouvrage de toute réception et leur prise de possession résultant d’évidentes nécessités économiques, non accompagnée du paiement intégral des travaux, qui caractérisent leur volonté de ne pas recevoir les travaux, conduisent également à rejeter leur demande de réception judiciaire ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’ouvrage était en état d’être reçu, c’est-à-dire habitable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; CASSE ET ANNULE […] »
Au terme de cet arrêt, il est donc précisé qu’un ouvrage en état d’être reçu consiste donc tout simplement en un ouvrage habitable (Cass, 3ème civ, 21 mai 2003, n° 02-10052 ; Cass, 3ème civ, 09 novembre 2005, n° 04-11856).
Au demeurant, la date de la réception judiciaire doit être prononcée au jour où l’ouvrage était en état d’être reçu (Cass, 3ème civ, 29 mars 2011, n° 10-15824).
La Cour de cassation a confirmé sa position dans un arrêt en date du 20 avril 2017 (Cass, 3ème civ, 20 avril 2017, n° 16-12790) :
«Attendu que M. et Mme X … font grief à l’arrêt de prononcer la réception de l’ouvrage à la date du 6 février 2008, de les condamner à régler à la société MAT le solde du prix des travaux et de rejeter leurs demandes de paiement de pénalités de retard ;
Mais attendu qu’ayant relevé, sans dénaturation, que, si l’expert avait constaté des non-conformités et des malfaçons, il avait estimé qu’elles ne présentaient aucun caractère de gravité, mais caractérisaient seulement des réserves que le constructeur aurait levées aisément après réception, et que, s’il considérait que les drains étaient à reprendre dans leur totalité, il affirmait que la présence d’eau dans le vide sanitaire ne pouvait pas remettre en question la réception des travaux et ne rendait pas l’habitation impropre à sa destination et que la production du certificat du Consuel du 23 avril 2010 permettait de se convaincre que l’attestation de conformité, établie par l’installateur le 25 novembre 2007, avait bien reçu le visa de cet organisme le 30 novembre 2007, la cour d’appel, qui, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ou qui ne lui étaient pas demandées, a pu retenir que l’ouvrage était en état d’être reçu le 6 février 2008 et prononcer la réception judiciaire à cette date, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »
En l’espèce, plusieurs faits ont permis de déterminer, sans le nommer, le caractère habitable de l’ouvrage, selon le critère du faisceau d’indices, les désordres constatés ne rendant manifestement pas l’immeuble impropre à sa destination.
Cet arrêt est également une illustration de l’appréciation de la date de la réception judiciaire qui intervient lorsque l’ouvrage est en état d’être reçu.
En tout état de cause, l’appréciation de l’état d’être reçu d’un ouvrage dépend du seul pouvoir souverain des juges du fond.
Par un arrêt plus récent publié au Bulletin (Cass, 3ème civ, 12 octobre 1997, n° 15-27802), la Cour de cassation a très clairement rappelé que la recherche du caractère injustifié du refus par le maître de l’ouvrage de recevoir les ouvrages ne constitue pas un critère posé par l’article 1792-6 du Code civil pour faire droit à une demande de prononcé d’une réception judiciaire.
Au visa de l’article 1792-6 du Code civil, la Cour de cassation précise ainsi que :
« Attendu que, pour refuser la réception judiciaire des travaux, l’arrêt retient que le prononcé de celle-ci suppose que les travaux soient en état d’être reçus mais aussi un refus abusif du maître d’ouvrage de prononcer une réception expresse sollicitée par le constructeur ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d’être reçus, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; […] CASSE ET ANNULE »
Ce faisant, les juges du fond avaient conditionné le prononcé de la réception judiciaire, non seulement au fait que les travaux soient en état d’être reçus, ce qui n’implique pas au-demeurant qu’ils soient totalement terminés, l’achèvement des travaux n’étant pas une condition de la réception judiciaire (Cass., 3ème civ. 9 octobre 1991, n° 90-14739 ; Cass. 3ème civ., 15 janvier 1997, n° 95-10549), mais aussi à un refus abusif, en l’espèce du maître de l’ouvrage, de recevoir les ouvrages.
A cet égard, la jurisprudence avait déjà retenu que le juge ne pouvait pas prononcer une réception judiciaire sans rechercher si le constructeur n’avait pas fait obstacle à la prise de possession des lieux (Cass, 3ème civ, 08 juin 2006, n°05-15509), ce qui avait alors pour conséquence de priver le maître de l’ouvrage de bénéficier des garanties légales, alors que juridiquement c’est bien le maître de l’ouvrage qui réceptionne et non le locateur, par simple application des dispositions de l’article 1792-6 du Code civil.
La cour d’appel avait donc étendu cette analyse à la situation d’un refus de réception par le maître d’ouvrage, ayant pour conséquence identique de priver le locateur du bénéfice des garanties légales, mais aussi du caractère exigible du solde de son marché.
En cassant cet arrêt, la Cour de cassation signifie très clairement que le seul et unique critère d’appréciation de la réception judiciaire tient à la situation des travaux qui doivent être en état d’être reçus et non à l’analyse psychologique du comportement des parties, dont pourrait découler le caractère éventuellement abusif du refus de réceptionner les ouvrages.
Par ces deux arrêts, la Cour de cassation retient donc une définition exclusivement matérialiste de la réception judiciaire, exclusive de toute appréciation subjective des intentions des parties.