A propos de : Cass, 3ème civ, 25 janvier 2024, n° 22-22.681
Un incendie a sinistré en 2014 un appartement situé dans une copropriété, assurée en multirisque immeuble collectif auprès de la société AREAS DOMMAGES.
L’appartement était donné à bail à un locataire, assuré dans le cadre d’un contrat d’assurance multirisque habitation auprès de la MATMUT.
L’incendie s’est propagé dans les parties communes de la copropriété.
Après avoir versé des indemnités au Syndicat des copropriétaires, la société AREAS DOMMAGES a vainement tenté d’exercer son recours subrogatoire à l’encontre de la MATMUT.
La société AREAS DOMMAGES a donc assigné la MATMUT devant le Tribunal de grande instance de Paris, dont elle a obtenu la condamnation à l’indemniser à hauteur des indemnisés versées à la suite du sinistre.
La MATMUT a interjeté appel et a conclu notamment à l’irrecevabilité des demandes, sur le fondement des dispositions de l’article 122 du code de procédure civile, au motif que la société AREAS DOMMAGES n’avait pas respecté les dispositions de l’article 4 de la convention CORAL (Convention de règlement amiable des litiges), auxquelles elles sont parties, imposant une procédure d’escalade en ces termes : « Les sociétés adhérentes sont tenues, avant de recourir à la conciliation à l’arbitrage ou à la saisine d’une juridiction d’Etat, d’épuiser toutes voies de recours dans le cadre de la procédure d’escalade … »
Il était alors contesté par la société AREAS DOMMAGES que la clause d’escalade puisse constituer une clause de conciliation préalable, alors que la convention CORAL devait s’analyser en une convention d’arbitrage et que, s’agissant d’une exception de procédure, et non d’une fin de non-recevoir, elle aurait dû être soulevée in limine litis devant le juge de la mise en état.
Par un arrêt en date du 7 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a considéré que la convention CORAL ne pouvait pas être qualifiée de convention d’arbitrage, qui n’est que facultative, pas plus que de convention de conciliation, puisqu’excluant le recours à un tiers non partie à la convention, de sorte que la seule sanction possible était celle de la nullité de l’assignation pour défaut de mention des diligences entreprises pour parvenir à la résolution amiable du litige, en application de l’article 56 du code de procédure civile, qui n’était pas invoquée par la MATMUT.
Par son arrêt rendu le 25 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 25 janvier 2024, n° 22-22.681), la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, au motif que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre d’une clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
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Pour la toute première fois, la Cour de cassation s’est donc prononcée sur la qualification de la clause d’escalade visée à l’article 4 de la convention CORAL, en considérant qu’il s’agit d’une clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire.
La jurisprudence du fond avait déjà eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, avec parfois une acception assez extensive de la notion de clause de tentative de conciliation obligatoire et préalable, tout en reconnaissant qu’une fin de non-recevoir pouvait avoir une source conventionnelle.
Dans un arrêt en date du 19 mai 2016 (Cass, 3ème civ, 19 mai 2016, n° 15-14.464), la Cour de cassation a ainsi retenu cette qualification pour une clause au terme de laquelle : « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction. », alors qui plus est que le contrat était dépourvu de toute modalité précise de mise en œuvre, écartant ainsi la notion d’arbitrage.
S’agissant de la convention CORAL, la jurisprudence a pu considérer que les parties étaient liées par une clause compromissoire, au regard des dispositions de l’article 1442 alinéa 2 du code de procédure civile, ce qui constituait une fin de non-recevoir et non une exception de procédure, en ce qu’elle tendait à faire déclarer l’intimé irrecevable en sa demande, sans examen au fond pour défaut du droit d’agir (Cour d’appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 21 juin 2011, n° 10-09368 ; Cour d’appel de Toulouse, 1ère chambre, section 1, 15 novembre 2018, n° 17-04682).
Encore, la jurisprudence a pu tout simplement constater que la demande était irrecevable faute d’avoir respecté la procédure conventionnelle de tentative de règlement amiable, au visa de l’article 56 du code de procédure civile (Cour d’appel de Dijon, 1ère chambre civile, 25 mai 2021, n° 20-00836).
Bien entendu, l’irrecevabilité de l’action ne peut profiter qu’à l’assureur adhérent à la convention et non aux tiers, qui ne peuvent invoquer à leur profit la clause de tentative de règlement amiable prévue par l’article 4 de la convention CORAL, ou se la voir opposer, l’article 1 alinéa 5 de la convention indiquant que : « Ses dispositions s’imposent aux assureurs adhérents mais sont inopposables aux victimes assurées ou tiers. » (Cour d’appel de Chambéry, 2ème chambre, 20 mai 2021, n° 19-01746) :
« Ainsi, quelle que soit la convention applicable en l’espèce, la société AXA est fondée à soulever la fin de non-recevoir de l’action que la SMACL dirige à son encontre, faute de mise en œuvre préalable de la procédure d’escalade dont elle ne pouvait se dispenser au motif qu’elle l’estimait inutile et qui n’était pas rendue impossible par la prétendue indétermination des sommes fondant son recours subrogatoire. L’action de la SMACL est toutefois recevable en ce qu’elle est dirigée contre le X. »
Dans un arrêt en date du 21 septembre 2023 (Cour d’appel de Versailles, 14ème chambre, 21 septembre 2023, n° 23/00629), la Cour d’appel de Versailles a très clairement indiqué que s’agissant d’une convention prévoyant notamment une procédure de conciliation préalable obligatoire, sa méconnaissance constituait une fin de non-recevoir qui pouvait être soulevée en tout état de cause, de sorte qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être encourue du fait que l’argument n’avait pas été soulevé in limine litis.
La qualification de fin de non-recevoir du moyen tiré du non-respect de la procédure d’escalade prévue par la convention CORAL, a également été retenue par la cour d’appel d’Angers dans un arrêt en date du 6 décembre 2023 (Cour d’appel d’Angers, chambre A civile, 6 décembre 2023, n° 23-00202), échappant à la compétence du Juge de la mise en état avant l’entrée en vigueur de l’article 55 II du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
L’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 25 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 25 janvier 2024, n° 22-22.681) confirme donc, de la façon la plus claire qu’il soit, et avec une rédaction qui se veut générale, que le défaut de mise en œuvre de la clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande.
Le hasard faisant bien les choses, au moins deux Cours d’appel ont statué dans un sens strictement identique (Cour d’appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 25 janvier 2024, n° 23-03092 ; Cour d’appel de Versailles, chambre commerciale 3.1, 25 janvier 2024, n° 22-04691 ;
A toute fin, il sera rappelé que le défaut de respect d’une clause de conciliation préalable obligatoire constitue une fin de non-recevoir qui n’est pas régularisable, ce que la Cour d’appel de Bordeaux a également reconnu s’agissant de la clause d’escalade de la convention CORAL (Cour d’appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 25 janvier 2024, n° 23-03092).