Cabinet ANGERS - 02 41 09 30 09 - contact@antarius-avocats.com

Cabinet RENNES - 02 23 41 14 33 - contactrennes@antarius-avocats.com

L’habitabilité de l’ouvrage pour seul critère de la réception judiciaire

Cass, 3ème civ, 19 septembre 2024, n°22-24.871 ; 23-10.105 ; 23-10.965

Le 28 décembre 2009, des particuliers ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan avec un constructeur, assuré au titre de sa responsabilité civile décennale auprès de la société Aviva assurances (Abeilles Iard & Santé).

Par ailleurs, une garantie de livraison à prix et délai convenus a été souscrite auprès de la société HCC International Insurance Company (Tokyo Marine Europe).

Après avoir refusé de réceptionner les ouvrages le 9 janvier 2014, au motif qu’ils étaient affectés de divers désordres et non-conformités constructives, les maîtres de l’ouvrage ont néanmoins sollicité la remise des clefs le 31 mars 2014, afin de pouvoir réaliser des travaux d’aménagement intérieurs qu’ils s’étaient réservés.

Pour autant, ils n’ont pas entendu régulariser de procès-verbal de réception.

Sur ce, au mois de mai 2014, le constructeur leur a fait délivrer une assignation au fond pour que soit prononcée la réception judiciaire des ouvrages à la date du 9 janvier 2014 et qu’ils soient condamnés au paiement du solde du prix du contrat de construction.

Le constructeur a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en cours de procédure, le 23 novembre 2021.

Par un arrêt en date du 3 octobre 2022, la Cour d’appel de Versailles (Cour d’appel de Versailles, 3 octobre 2022, n°20-04108) a prononcé la réception judiciaire des ouvrages à la date du 31 mars 2014 avec des réserves, et a condamné le garant de livraison à prix et délais convenus à garantir leur levée en désignant sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux.

Par ailleurs, la Cour d’appel de Versailles a condamné le garant de livraison à prix et délai convenus à payer aux maîtres de l’ouvrage une somme de 578.014,21 euros au titre des pénalités de retard de livraison, au motif que :

« La nécessité de défaire la toiture et de la reconstruire n’est pas de nature à empêcher la réception judiciaire en dépit de l’ampleur des travaux, la maison étant dans l’attente de ceux-ci parfaitement habitable. »

« Ni l’insuffisance de l’enfouissement des canalisations, ni l’absence de séparation des tuyaux d’évacuation des eaux usées et des eaux de pluie n’affectent l’habitabilité de la maison. »

« Si les infiltrations d’eau en sous-sol se sont aggravées au fil des années, elles n’affectaient pas, à la fin de la construction au début de l’année 2014, l’habitabilité du pavillon. »

Sur ce, dans son arrêt confirmatif, la Cour d’appel de Versailles relève que les maîtres de l’ouvrage, qui ont pris possession des clés le 31 mars 2014, ont ainsi manifesté le signe d’une prise de possession des ouvrages, ne sollicitant pas alors la démolition du bien mais uniquement des reprises partielles.

La société Tokyo Marine Europe a formé un pourvoi en cassation, en soutenant pour l’essentiel que la réception judiciaire aurait dû être prononcée à effet au 9 janvier 2014, date à laquelle les ouvrages étaient en état d’être reçus.

Par un arrêt en date du 19 septembre 2024, dont la motivation est intéressante en ce qu’elle porte sur la condition strictement nécessaire au prononcé d’une réception judiciaire, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au motif que :

« Pour écarter la date du 9 janvier 2014 proposée par le constructeur et le garant pour la réception judiciaire de l’ouvrage, l’arrêt relève qu’à cette date, les maîtres de l’ouvrage n’avaient pas même été convoqués pour une réception.

En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un obstacle à la réception judiciaire, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, à la date du 9 janvier 2014, la maison était habitable et, ainsi, en état d’être reçue, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Sur ce, cette décision permet une nouvelle fois de rappeler que le seul et unique critère pour apprécier s’il est ou non possible de prononcer une réception judiciaire tient sur le point de savoir si l’ouvrage est en état d’être reçu compte tenu de sa situation d’achèvement (Cass, 3ème civ, 22 juin 2023, n°22-12.816).

Dans son arrêt, la Cour de cassation assimile la possibilité de recevoir l’ouvrage à son habitabilité, ce qui n’est pas nouveau puisque déjà dans un arrêt en date du 2 février 2017 (Cass, 3ème civ, 2 février 2017, n°16-11.677), la Cour de cassation indiquait au sujet d’une demande de prononcé d’une réception judiciaire : « En statuant ainsi, sans rechercher si l’ouvrage était en état d’être reçu, c’est-à-dire habitable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. ».

Il est alors constant que l’absence de volonté du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux est parfaitement indifférente, de la même façon qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de l’absence de convocation préalable, ou de proposition de réceptionner à l’initiative du constructeur (Cass, 3ème civ, 12 octobre 2017, n°15-27.802).

En l’espèce, le bien n’était pas moins habitable le 9 janvier 2014 qu’il ne l’était le 31 mars 2014, lorsque les maîtres de l’ouvrage ont décidé de prendre les clés, non pas pour habiter dans l’ouvrage, mais pour y réaliser des travaux réservés.

Il est vrai qu’à la date du 9 janvier 2014, la réception des ouvrages n’était pas refusée du fait d’un éventuel inachèvement des travaux, mais du fait de l’existence de malfaçons et de non-conformités qui existaient toujours le 31 mars 2014.

À cet égard, l’arrêt ne manque pas de rappeler que l’importance des malfaçons affectant les travaux réalisés doit s’apprécier uniquement à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, seul le critère d’habitabilité devant être alors pris en considération, peu important qu’il soit ultérieurement nécessaire de réaliser des travaux de reprise importants, impliquant une démolition, notamment pour lever les réserves.

Enfin, si la jurisprudence opère très classiquement une distinction entre la réception et la livraison, faisant ainsi cesser le cours des pénalités contractuelles de retard prévues à l’article R 231-14 du code de la construction et de l’habitation, à la date de la livraison, correspondant à la prise de possession de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 28 septembre 2023, n°22-18.237), il n’est pas intéressant de constater qu’en l’espèce la notion de livraison n’est pas incompatible avec l’absence de prise de possession effective des clés, qui ne tenait qu’au seul refus des maîtres de l’ouvrage de réceptionner les travaux.

Or, dans le cadre de la procédure, les maîtres de l’ouvrage entendaient soutenir qu’en matière de contrat de construction de maison individuelle, la livraison suppose la remise au maître d’ouvrage d’un immeuble conforme aux prévisions contractuelles, de sorte que celui-ci étant affecté de nombreuses non conformités nécessitant de le démolir en tout ou partie, ils ne pouvaient pas être en mesure d’en prendre possession pour y habiter ou le louer, raison pour laquelle les pénalités contractuelles de retard devaient continuer à courir.

La Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt en date du 3 octobre 2022, avait suivi cette analyse en considérant qu’un double des clés avait été remis aux maîtres de l’ouvrage en fin de chantier, pour leur permettre de réaliser des travaux intérieurs qu’ils s’étaient réservés, que le constructeur avait fait procéder au changement des serrures et qu’il n’était pas justifié d’une prise de possession postérieure à cet obstacle mis par le constructeur à la livraison de la maison d’habitation.

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation au motif que :

« En statuant ainsi, alors que les maîtres de l’ouvrage ne prétendaient pas que le constructeur faisait obstacle à leur entrée en possession, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d’office, la Cour d’appel a violé le texte susvisée ».

Si le motif de la cassation procède d’une violation de l’article 16 du code de procédure civile, sans préjuger du fond, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas douteux de penser qu’il sera très vraisemblablement utilement soutenu devant la Cour d’appel de renvoi, que les pénalités contractuelles de retard doivent cesser à la date à laquelle la réception judiciaire est prononcée, puisque c’est bien à cette date que l’ouvrage est réputé être en état d’être reçu, puisqu’étant habitable, ce surtout lorsque c’est le maître de l’ouvrage qui s’est opposé jusqu’alors opposé au prononcé de la réception des travaux.

Partagez

Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

Vous avez besoin d'un conseil ?

Newsletter Antarius Avocats

Recevez par email toute notre actualité