« le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour de cassation a régulièrement rappelé le principe selon lequel il ne peut exister de subrogation entre locateurs d’ouvrage, de sorte qu’un constructeur, condamné à indemniser un maître de l’ouvrage et qui entend recourir contre un autre constructeur ou un sous-traitant, co-responsable, ne peut se prétendre subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage pour faciliter l’exercice de son recours.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 septembre 2012 (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2012, n° 11-21.972), au visa de l’article 1382 du code civil, en indiquant :
« Qu’en statuant ainsi, sans constater l’existence d’un lien contractuel entre la société X et les architectes et alors que les constructeurs, liés au maître de l’ouvrage par des conventions distinctes, sont des tiers dans leurs rapports et peuvent engager entre eux une action en responsabilité quasi délictuelle qui se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
La décision ne faisait que confirmer une position déjà adoptée dans un arrêt rendu le 8 juin 2011 (Cass, 3ème civ, 8 juin 2011, n° 09-69894) :
« Les personnes responsables de plein droit en application des dispositions de l’article 1792 du code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs, ne peuvent agir en garantie ou à titre récursoire contre les autres responsables tenus avec elle au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports. »
Il était ainsi posé, ce qui n’a jamais été infirmé depuis lors, que le recours d’un constructeur contre un autre « constructeur » est de nature contractuelle lorsqu’ils sont contractuellement liés entre eux et de nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n° 11-11.417), le locateur d’ouvrage ne disposant en effet que « d’une action personnelle » et non d’une action subrogatoire (Traité de droit civil, les conditions de la responsabilité, Geneviève Viney & Patrice Jourdain, page 316).
Ces décisions avaient pour circonstance commune d’avoir été rendues sur le fondement des dispositions légales en vigueur avant la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
Si dans ces conditions la nature des recours susceptibles d’être exercés entre constructeurs ne posait donc pas de difficulté, il en était tout autrement s’agissant du régime de prescription applicable depuis la réforme de la prescription, point sur lequel la Cour de cassation n’avait pas encore été amenée à se prononcer.
L’arrêt rendu le 16 janvier 2020 (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2020, n° 18-25915) répond enfin à cette question et confirme une analyse cohérente qui était attendue.
En effet, alors que la jurisprudence avait été amenée à retenir le régime du droit commun pour les actions engagées avant la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (I), l’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 16 janvier 2020 confirme la volonté de la Cour de cassation ne pas déroger à ce principe pour les actions engagées postérieurement à la réforme, en cohérence avec les textes applicables (II).
I – LE REGIME DE PRESCRIPTION APPLICABLE POUR LES RECOURS ENTRE COOBLIGES AVANT LA REFORME DE LA PRESCRIPTION DU 17 JUIN 2008 :
Dans l’arrêt rendu le 11 septembre 2012 (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2012, n° 11-21.972), au visa des articles 1382 et 2270-1 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 85-6677 du 5 juillet 1985, la Cour de cassation a indiqué que l’action en responsabilité quasi délictuelle que peuvent engager entre eux les constructeurs « se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. »
Ce principe avait déjà été retenu dans les arrêts rendus les 8 février 2012 (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n° 11-11.417) et 11 juillet 2012 (Cass, 3ème civ, 11 juillet 2012, n° 10-28.535 ; 10-28.616 et 11-10.995).
Tout particulièrement dans son arrêt en date du 8 février 2012, la Cour de cassation s’est montrée très explicite, en indiquant que :
« Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n’est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n’est pas la date de réception des ouvrages. »
Ainsi donc, s’agissant des actions engagées avant la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le point de départ du recours du constructeur à l’encontre d’un autre constructeur, coobligé, n’est pas la date de la réception des ouvrages, mais conformément au droit commun de la responsabilité civile, le jour de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Le principe est identique, en application des articles 2270 du code civil et L 110-4 du code de commerce, lorsque les coobligés sont des commerçants.
A cet égard, il est considéré que la « manifestation du dommage » est constituée par la mise en cause du constructeur par le maître d’ouvrage, qui seule justifie la mise en œuvre d’une action récursoire à l’encontre des autres intervenants à l’acte de construire, point sur lequel la jurisprudence a été amenée à se positionner s’agissant du recours du constructeur à l’encontre du sous-traitant.
C’est ainsi que, dans un arrêt rendu le 10 mai 2007 (Cass, 3ème civ, 10 mai 2007, n° 06-13836), la Cour de cassation a été amenée à indiquer que :
« La cour d’appel a retenu à bon droit, d’une part, que les deux parties étant commerçantes, le délai de prescription de l’action de l’entrepreneur principal envers son sous-traitant avait commencé à courir à l’époque où l’action a été engagée du jour où l’entrepreneur agissant en garantie avait été assigné par le maître d’ouvrage ou l’assureur subrogé dans les droits de celui-ci. »
Cette analyse a été confirmée dans un arrêt rendu le 8 septembre 2010 (Cass, 3ème civ, 8 septembre 2010, n° 09-67.434), dans lequel il était expressément indiqué que :
« Dès lors, en application de l’article L 110-4 du code de commerce, le délai décennal de l’action ouverte à l’entreprise principale à l’encontre de son sous-traitant commence à courir à la date à laquelle la responsabilité de l’entreprise principale a été mise en cause par le maître de l’ouvrage. »
La Cour de cassation devait encore le rappeler dans un arrêt en date du 2 juin 2015 (Cass, 3ème civ, 2 juin 2015, n° 14-16.823), en indiquant que : « Pour les contrats de sous-traitance conclus antérieurement à la mise en application des dispositions issues de l’ordonnance du 8 juin 2005 et de la loi du 17 juin 2008, en vue de la réalisation d’ouvrages dont la réception est intervenue plus de dix ans avant cette date, le délai de prescription de l’action en responsabilité dirigée contre les sous-traitants par l’entrepreneur principal, d’une durée de dix ans, court à compter du premier acte dénonçant les dommages à l’entrepreneur principal, que la mise en cause aux fins de désignation d’expert devant le juge des référés constitue le point de départ de ce délai. »
Au-demeurant, cette position est en cohérence avec le point de départ du délai de prescription du recours du constructeur à l’égard du fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés qui, quoi qu’étant soumis au délai de prescription de dix ans de l’article 2270-1 du code civil (délai désormais ramené à cinq ans par les articles 2224 du code civil et L 110-4 du code de commerce), doit être engagé dans le délai de deux ans de l’article 1648 alinéa 1er du code civil à compter de la connaissance du vice.
Or, afin d’atténuer les difficultés qui découlent nécessairement de l’articulation de ces dispositions, la jurisprudence a en effet été amenée à préciser que le délai d’action de deux ans se trouve suspendu jusqu’à la mise en cause judiciaire du constructeur.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 6 décembre 2018 (Cass, 3ème civ, 6 décembre 2018, n° 17-24.111) la Cour de cassation a précisé que : « Lebref délai dont dispose l’entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l’encontre du fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui, le délai décennal de l’article L 110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage … »
S’agissant de la notion de mise en cause de la responsabilité du constructeur, on rappellera un arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 mai 2012 (Cass, Com, 22 mai 2012, n° 11-18.125), précisant que « lebref délai dont dispose le vendeur pour exercer l’action récursoire en garantie à l’encontre de son fournisseur ne court pas de la date de l’assignation en référé-expertise dont l’objet tend à déterminer les causes du dommage invoqué par l’acquéreur, mais de la date de l’assignation au fond du vendeur, qui marque la volonté de l’acquéreur de mettre en œuvre la garantie du vice caché. » …
Il en résulte donc, qu’en tout état de cause, le recours d’un locateur d’ouvrage à l’encontre d’un coobligé, qu’il soit constructeur, sous-traitant ou fabricant, peut toujours être exercé postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, qui est quant à lui déterminé exclusivement par rapport à la date de la réception des ouvrages.
Le régime de la prescription applicable avant la réforme du 17 juin 2008 dans les recours entre coobligés se trouve donc confirmé par l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 16 janvier 2020.
II – UN REGIME DE PRESCRIPTION CONFIRME PAR L’ARRET DU 16 JANVIER 2020 AU REGARD DES DISPOSITIONS LEGALES ISSUES DE LA REFORME DU 17 JUIN 2008 :
Il résulte des dispositions de l’article 1792-4-1 du code civil, résultant de la loi du 17 juin 2008 emportant réforme de la prescription, que toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai de deux ans.
Pour sa part, l’article 1792-4-2 du code civil dispose que les actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant en raison de dommages affectant un ouvrage ou des éléments d’équipement d’un ouvrage mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux et, pour les dommages affectant ceux des éléments d’équipement de l’ouvrage mentionnés à l’article 1792-3, par deux ans à compter de la réception.
Les articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du code civil instituent donc une uniformisation du régime de la prescription du recours du maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs et des sous-traitants, tant en ce qui concerne la durée que le point de départ du délai de prescription.
En procédant de la sorte, le législateur s’est montré attentif aux attentes de la doctrine, qui depuis fort longtemps militait en faveur d’une uniformisation du régime de la prescription des actions du maître de l’ouvrage.
Pour autant, ces dispositions ne régissent pas les recours entre coobligés, puisqu’elles ne concernent que les recours dont dispose le maître de l’ouvrage, tant à l’égard des constructeurs que des sous-traitants.
Il était donc permis de s’interroger sur le régime des recours entre coobligés, au regard notamment des dispositions visées à l’article 1792-4-3 du code civil, dont il résulte que : « En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. »
C’est d’ailleurs ce qui a été jugé par la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 16 novembre 2012 (Cour d’appel de Paris, pôle 4, 6ème chambre, 16 novembre 2012, n° 11-02657) :
« Considérant que le recours exercé par la société X et son assureur, fondé sur la responsabilité délictuelle, est néanmoins enfermé dans un délai de prescription de dix ans qui court à compter de la réception des travaux en application de l’article 1792-4-3 ; que cette action est par conséquent également prescrite comme l’a exactement énoncé le premier juge et que les demandes dirigées contre la société Y et contre son assureur ne peuvent prospérer. »
De la même façon, la cour d’appel de Montpellier dans un arrêt rendu le 4 juillet 2013 (Cour d’appel de Montpellier, 1ère chambre, 4 juillet 2013, n° 12-08054), a expressément retenu l’application des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil, au motif qu’elles avaient vocation à régir les actions particulières entre constructeurs, par dérogation au droit commun traité par l’article 2224 du code civil :
« L’article 1792-4-3 du code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, aux termes duquel « en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-3 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux » qui uniformise les délais de prescription en matière de responsabilité des constructeurs, s’applique, compte tenu de sa généralité, à toutes les actions récursoires contre les locateurs d’ouvrage, qu’elles soient de nature délictuelle ou contractuelle. »
« Ce texte, en ce qu’il concerne spécifiquement les actions dirigées contre les constructeurs à l’exception de cas limitativement énumérés, déroge aux dispositions de portée générale de l’article 2224 du code civil, aux termes duquel « les actions personnelles ou immobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant de l’exercer. »
« Ainsi, d’une part ce délai de forclusion est applicable à toute action dirigée contre un constructeur et à tous les recours entre constructeurs, quel que soit son fondement juridique y compris extra-contractuel ; d’autre part il court dans tous les cas à compter de la réception des travaux et non à compter de la date à laquelle celui qui l’exerce a été assigné par le maître de l’ouvrage. »
Il reste que ces décisions n’étaient pas en cohérence avec l’ordonnancement des textes, puisque l’article 1792-4-3 du code civil figure dans un chapitre qui est expressément consacré au louage d’ouvrage, c’est à dire aux actions qui sont ouvertes au maître de l’ouvrage, ce qui par nature ne concerne pas les actions des constructeurs entre eux.
La jurisprudence administrative ne s’y était d’ailleurs pas trompée, puisque dans un arrêt rendu le 10 avril 2012, la cour administrative d’appel de Douai (Cour administrative d’appel de Douai, 1ère chambre, 10 avril 2012, n° 10-DA-01686) avait très clairement indiqué que :
« L’appel en garantie exercé par un constructeur contre un autre sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle est régi, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, par l’article 2224 du code civil, et non par l’article 1792-4-3 qui ne concerne que les actions exercées par le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur. »
Plus récemment, dans un arrêt rendu le 10 février 2017 (CE, 10 février 2017, n° 391722, Sté Fayat Bâtiment), le Conseil d’Etat a confirmé que les appels en garantie entre constructeurs ne devaient pas être régis par l’article 1792-4-3 du code civil, mais par les dispositions de droit commun, suivant ainsi l’analyse considérée par la Cour de cassation pour les contentieux ouverts avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008.
Cette analyse était au-demeurant partagée par de nombreuses cour d’appel, dont plusieurs décisions sont venues conforter l’application du régime de droit commun de la prescription dans le cadre des recours entre coobligés.
C’est ainsi que, dans un arrêt rendu le 20 octobre 2016, la Cour d’appel de Nîmes (Cour d’appel Nîmes, 20 octobre 2016, n° 16/00064) a été amenée à indiquer que :
« Les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil insérés dans un titre exclusivement consacré au contrat de louage et dans un chapitre concernant le louage d’ouvrage ou d’industrie, sont propres aux actions engagées par le maître de l’ouvrage ou par l’acquéreur à l’encontre d’un locateur d’ouvrage ou de ses sous-traitants à raison de désordres de construction …
Ces dispositions ne sont cependant pas d’application au recours des locateurs d’ouvrage ou de leurs assureurs entre eux, lesquels sont en l’espèce de nature quasi-délictuelle et n’ont pas pour objet la réparation d’un désordre de construction mais celle du préjudice résultant pour eux le cas échéant de l’obligation de garantir ou d’indemniser le maître de l’ouvrage en raison de tels désordres.
Il s’ensuit que le point de départ de l’action récursoire des locateurs d’ouvrage ou de leurs assureurs entre eux n’est pas la date de réception mais par application de l’article 2224 du code civil le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Par son arrêt du 16 janvier 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient enfin mettre un terme à toute discussion, en s’alignant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat, au terme d’une motivation qui se veut extrêmement moderne et pédagogique.
En premier lieu, après avoir posé le principe selon lequel le délai de prescription du recours entre coobligés, ainsi que son point de départ, ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil, l’arrêt prend soin d’expliciter sa position en rappelant l’ordonnancement des textes issu de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription :
« Attendu que le délai de la prescription de ce recours et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil ; qu’en effet, ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants. »
En second lieu, l’arrêt prend soin de rappeler l’état de la jurisprudence applicable aux litiges ouverts avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription, en citant expressément sa décision en date du 8 février 2012, comme si la Cour de cassation voulait imprimer à sa décision l’expression d’une évidence :
« … d’ailleurs, la Cour de cassation a, dès avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, jugé que le point de départ du délai de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur n’était pas la date de réception de l’ouvrage (3ème Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23).
En conclusion, la Cour de cassation indique alors, de la façon la plus claire qu’il soit, qu’il « s’ensuit que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Il restera donc à déterminer clairement ce qu’il convient de considérer comme constituant la date de connaissance des faits permettant au constructeur d’exercer son recours à l’égard du coobligé, alors que, dans son arrêt rendu le 6 décembre 2018 (Cass, 3ème civ, 6 décembre 2018, n° 17-24.111), dans le cadre d’un recours entre un constructeur et un fabricant, la Cour de cassation a été amenée à retenir une suspension du délai de prescription « jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage. », ce qui n’est pas nécessairement constitué par la simple délivrance d’une assignation en référé-expertise.
Enfin, la Cour de cassation justifie sa position par la cohérence de la loi au regard du nécessaire respect des droits fondamentaux, dont le droit d’accès au juge protégé par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme :
« … en outre, fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître de l’ouvrage en fin de délai d’épreuve, du droit d’accès à un juge. »
Or, le droit à un tribunal se traduit tout précisément, selon la jurisprudence européenne, comme un droit d’accès au juge, tel qu’indiqué clairement et pour la première fois par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt X… / Royaume uni du 21 février 1975 (req. n° 4451/70), affirmant avec force que le droit à un procès équitable implique nécessairement un droit d’accès au juge :
« … on ne comprendrait pas que l’article 6, § 1er, décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité : l’accès au juge. Equité, publicité et célérité du procès n’offrent point d’intérêt en l’absence de procès ». (§ 35)
Cette décision, qui était très attendue, apparait donc, à tous égard, respectueuse des intérêts du justiciable et conforme à l’esprit de la loi.