Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302, Publié au bulletin
S’il résulte des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, que l’entrepreneur qui confie à un autre l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise le fait sous sa responsabilité, ce n’est pas sans certaines limites, ce que l’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302, Publié au bulletin) ne manque pas de rappeler.
I – L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL REPOND DES FAUTES DE SON SOUS-TRAITANT DANS L’EXECUTION DES TRAVAUX QUI LUI SONT CONFIES :
Il est de jurisprudence constante que l’entrepreneur principal répond des fautes d’exécution du sous-traitant vis-à-vis du maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 13 mars 1991, n° 89-13.833, Publié au bulletin).
Dans de nombreuses décisions et de façon très générique, la Cour de cassation indique que : « La faute du sous-traitant engage la responsabilité de l’entrepreneur principal vis-à-vis du maître de l’ouvrage » (Cass, 3ème civ, 13 mars 1991, n° 89-13.833 ; Cass, 3ème civ, 12 juin 2013, n° 11-12.283).
Il s’agit d’une responsabilité contractuelle qui est fondée sur les dispositions de l’article 1231-1 du code civil, reposant sur un défaut d’exécution du contrat que l’entrepreneur principal, à l’égard du maître de l’ouvrage, s’était engagé à réaliser.
Sur ce, il est normal que l’entrepreneur principal réponde de l’inexécution du contrat qui lui a été confié, quant bien même sa réalisation aurait-t-elle été déléguée à un sous-traitant.
Le recours à la sous-traitance constitue un risque qu’il n’incombe pas au maître de l’ouvrage de supporter.
Si le sous-traitant est redevable à son égard d’une obligation contractuelle de résultat, la jurisprudence ne manque pas de prendre en considération l’obligation de surveillance du sous-traitant par l’entrepreneur principal dans le cadre de la répartition des responsabilités (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-19.483, Publié au bulletin).
Il est même parfois considéré que l’entreprise principale exerce les fonctions de maître d’œuvre à l’égard du sous-traitant, dont la responsabilité peut ainsi se trouver atténuée (Cass, 3ème civ, 27 avril 2004, n° 02-17.331).
Le principe est identique lorsque la défaillance de l’entrepreneur principal procède de la défaillance non pas de son sous-traitant, mais d’un sous-traitant de second rang, à qui tout ou partie des travaux sous-traités avaient été confiés.
Et de la même façon, le sous-traitant de second-rang est lui-même redevable d’une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité, dont il ne peut s’exonérer totalement ou partiellement qu’en démontrant l’existence d’une cause étrangère (Cass, 3ème civ, 30 mars 2023, n° 21-20.971).
Il n’en reste pas moins que la responsabilité de l’entrepreneur principal, du fait fautif de son sous-traitant, procède d’un manquement à une obligation qui avait été conclue avec le maître de l’ouvrage et qui trouve sa source dans le contrat d’entreprise.
II – L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL NE REPOND PAS DES FAUTES COMMISES SANS RAPPORT AVEC LES TRAVAUX SOUS-TRAITES :
Il est jugé de façon constante, au visa des dispositions de l’article 1240 du code civil, que l’entrepreneur principal n’est pas responsable envers les tiers des dommages causés par son sous-traitant dont il n’est pas le commettant (Cass, 3ème civ, 17 mars 1999, n° 97-15.403).
La jurisprudence refuse en effet d’assimiler l’entrepreneur principal à un commettant au regard des règles de responsabilité, lorsque la faute commise est extérieure au contrat de sous-traitance (Cass, 3ème civ, 17 décembre 1997, n° 95-19.504).
C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 22 septembre 2010 (Cass, 3ème civ, 22 septembre 2010, n° 09-11.007), la Haute juridiction a très clairement indiqué que dès lors que le sous-traitant n’est pas le préposé de l’entrepreneur principal, il ne peut avoir à répondre vis-à-vis des tiers des agissements du sous-traitant en application des dispositions de l’article 1384 alinéa 5 du code civil, au titre de la responsabilité du commettant.
La responsabilité de l’entrepreneur principal à l’égard du maître de l’ouvrage procédant de l’article 1231-1 du code civil, il doit nécessairement en résulter un manquement qui soit imputable au sous-traitant dans l’exécution des prestations qui lui ont été sous-traitées, ou qui ont été sous-traitées à un sous-traitant de second rang.
Dans le même esprit, l’arrêt du 18 janvier 2024 (Cass, 3ème civ, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 ; 22-22.224 ; 22-22.302, Publié au bulletin) ne manque pas de préciser que l’entrepreneur principal n’a pas à répondre, sauf dispositions contractuelles particulières, des manquements de son sous-traitant commis à l’égard de ses propres sous-traitants, alors que le sous-traitant de second rang « n’a causé aucun désordre en réalisant des prestations d’évacuation, de transport et de traitement des déchets extraits du chantier. »
La situation d’espèce est tout à fait particulière.
Le sous-traitant avait en effet négligé de respecter l’obligation de faire accepter et agréer son propre sous-traitant, selon les modalités prévues à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance.
Du fait de la défaillance du sous-traitant, le sous-traitant de second rang avait recherché et obtenu la condamnation des maîtres de l’ouvrage à l’indemniser de son préjudice découlant du défaut de paiement de son marché, sur le fondement des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, puisque sa présence sur le chantier était manifestement connue.
Ayant été condamné, le maître d’ouvrage avait alors recherché la garantie de l’entreprise principale, censé devoir répondre du fait fautif de son sous-traitant.
Dès lors que le fait générateur de la responsabilité recherchée ne trouvait pas sa source dans la l’obligation qui avait été souscrite par l’entreprise principale à l’égard du maître de l’ouvrage, la Cour de cassation a tout naturellement rejeté la demande au visa de l’article 1147 du code civil :
« Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
« Il en résulte que, si l’entrepreneur est responsable, à l’égard du maître de l’ouvrage, des manquements de son sous-traitant commis dans l’exécution des prestations sous-traitées, sans qu’il soit besoin de démontrer sa propre faute, il n’a pas à répondre, sauf stipulation contraire, des manquements de ce sous-traitant à l’égard de ses propres sous-traitants. »
« Pour condamner la société Rabot Dutilleul construction à garantir les sociétés Valophis et Sodes des condamnations mises à leur charge sur le fondement de l’article 14-1 de la loi précitée, l’arrêt retient que … »
« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de l’entreprise générale dans l’exécution de ses obligations contractuelles, ou un manquement de sa sous-traitante dans l’exécution des prestations sous-traitées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
On rappellera à toute fin que, dans un arrêt en date du 21 janvier 2015 (Cass, 3ème civ, 21 janvier 2015, n° 13-18.316, Publié au bulletin), la Cour de cassation avait déjà retenu que la responsabilité de l’entrepreneur principal ne pouvait être engagée pour défaut d’agrément du sous-traitant de second rang, cette fois-ci sous le seul prisme de la loi du 31 décembre 1975 :
« Attendu que pour condamner la société GOC à payer une certaine somme à la société Unoule et Martineau, l’arrêt retient qu’en acceptant et en favorisant la présence de la société Unoule et Martineau en qualité de sous-traitant de second rang sans la faire agréer auprès du maître de l’ouvrage, la société GOC a commis une faute à l’égard de la société Unoule et Martineau ;
Qu’en statuant ainsi, en faisant supporter à la société GOC l’obligation pesant sur l’entrepreneur principal de présenter son sous-traitant à l’agrément du maître de l’ouvrage alors que la société Unoule et Martineau était le sous-traitant de la société TPIB et non de la société GOC, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
Le sous-traitant étant considéré comme l’entrepreneur principal à l’égard de ses propres sous-traitants, il n’incombait pas à l’entrepreneur principal de supporter le défaut d’agrément du sous-traitant de second rang, visé à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975.
La boucle est ainsi bouclée …