Commentaire de Civ. 3ème, 18 avril 2019, n° 18-13.734
Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation (civ. 3ème, 18 avril 2019, n° 18-13.734) a récemment précisé les conditions d’appréciation de la réception tacite de l’ouvrage par le maître d’ouvrage.
En l’espèce, les époux X avaient confié à la société OVALIS, assurée auprès de la société AVIVA, l’installation d’un chauffage par géothermie. Cette installation étant affectée de dysfonctionnements, et à l’issue d’une expertise judiciaire, les époux X ont assigné en indemnisation de leurs préjudices le mandataire liquidateur de la société OVALIS et la société AVIVA.
Au cœur de cette affaire est jugée la question de la réception tacite de l’ouvrage par les époux X de l’installation de chauffage par géothermie.
Comme tout litige constructif, la question de la réception est absolument majeure puisqu’elle permet, en droit, de déterminer les fondements juridiques des responsabilités ainsi que les garanties en jeu.
Dans le domaine de la construction, les dispositions de l’article 1792-6 du Code civil consacre ainsi le principe de la réception en la définissant comme l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.
Il s’agit donc de l’acte juridique unilatéral qui marque l’acceptation et la validation par le maître d’ouvrage des travaux accomplis par son cocontractant entrepreneur.
La réception est un acte dont les effets sont essentiels d’un point de vue juridique puisqu’elle marque la fin du contrat de louage d’ouvrage, en dehors des réserves à lever.
Il s’agit donc, hors les éventuelles réserves à lever, de la fin des travaux et du chantier.
Surtout, et c’est en cela qu’elle est centrale d’un point de vue juridique, la réception de l’ouvrage marque le point de départ des différentes garanties dues par un constructeur, à savoir la garantie de parfait achèvement (article 1792-6 du Code civil), la garantie biennale de bon fonctionnement pour les éléments d’équipements (article 1792-3) ainsi que la garantie décennale (article 1792-4-1), et plus généralement toutes les différentes actions en responsabilités contre un constructeur ou un sous-traitant (articles 1792-4-2 et 1792-4-3).
En ce sens, la réception marque donc également le point de départ des garanties dues par les assureurs, et notamment la garantie responsabilité civile décennale qui permet de couvrir un constructeur pour les dommages les plus graves, et qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination.
En principe, la réception des travaux est expresse et ressort d’un document écrit établi contradictoirement entre le maître de l’ouvrage et le constructeur, ce qui permet d’en vérifier la date et l’existence.
Pour autant, les dispositions de l’article 1792-6 du Code civil n’impose aucune formalité particulière à l’acte de réception, en dehors de son caractère contradictoire.
Néanmoins, comme souvent, aucune réception expresse n’intervient (généralement pour les petits marchés de travaux, les travaux très ponctuels de construction ou encore ceux d’une ampleur limitée) sans pour autant exclure l’acceptation de l’ouvrage par le maître d’ouvrage et donc sa réception.
L’intervention d’une réception tacite de l’ouvrage permet donc, en l’absence de réception expresse, de démontrer une acceptation des ouvrages et donc d’actionner les garanties légales.
Il a ainsi été admis que la réception puisse être tacite (civ. 3ème, 12 octobre 1988, n° 87-11.174 ; civ. 3ème, 04 novembre 1992, n° 91-10.076).
La réception tacite peut même intervenir avec des réserves (civ. 1ère, 10 juillet 1995, n° 93-13.027) au moyen de la preuve de dénonciations de désordres provenant du maître d’ouvrage de façon concomitantes à la réception.
La question de la réception tacite de l’ouvrage s’est donc posée en l’espèce, les époux X. cherchant très vraisemblablement à actionner la garantie décennale de la société AVIVA, en qualité d’assureur de la société OVALIS, d’autant plus que cette dernière était en cours de liquidation et donc probablement insolvable.
Il appartenait donc aux époux X. de prouver et de démontrer l’existence de la réception de l’installation de chauffage par géothermie puisque la charge de la preuve de la réception tacite relève de celui qui l’invoque.
Mais quels sont les critères retenus, et soumis à l’appréciation des juges, pour présumer une réception tacite de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage ?
Au regard de la jurisprudence, il est principalement recherché la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir les travaux pour caractériser une réception tacite.
Ainsi, il a été admis que la prise de possession pouvait manifester cette volonté non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage (civ. 3ème, 14 janvier 1998 ; civ. 3ème, 16 février 2005, n° 03-16.880).
Parfois, pour démontrer la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage, certaines parties s’attachent en outre à apporter la preuve par divers moyens, notamment les échanges intervenus entre maître d’ouvrage et constructeur par courriers, mails, SMS.
Ces éléments pouvaient permettre de démontrer le caractère non équivoque de la volonté du maître d’ouvrage, tout comme l’achèvement des travaux.
Dans le même sens, il ressort de la jurisprudence que le paiement intégral des travaux est également un critère d’appréciation.
Pour autant, il était admis que le paiement intégral ne suffisait pas, à lui seul, à caractériser la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux (civ. 3ème, 30 septembre 1998, n° 96-17.014).
Plusieurs décisions mettent ainsi en exergue que la réception tacite résulte de la combinaison d’une prise de possession jointe au paiement intégral (civ. 3ème, 16 mars 1994, n° 92-10.957 ; civ. 1ère, 10 juillet 1995, n° 93-13.027 ; civ. 1ère, 13 juillet 2016, n° 15-17.208).
Dans un arrêt du 30 janvier 2019 (civ. 3ème, n° 18-10.197), la Cour de cassation avait donc posé le principe de la double condition du paiement intégral des travaux et de la prise de possession de l’ouvrage par le maître d’ouvrage, pour démontrer la réception tacite de l’ouvrage.
En définitive, la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage demeure l’élément essentiel de la réception tacite et sera présumée à la double preuve de la prise de possession et du paiement intégral des travaux.
Ce principe s’est trouvé désormais conforté à l’occasion d’un second arrêt de la Cour de cassation (civ. 3ème, 18 avril 2019, n° 18-13.734), confirmant cette double condition.
Dans cette espèce opposant les époux X. à la société AVIVA, la Cour de cassation a donc rappelé qu’une réception tacite peut être retenue si la preuve est rapportée de la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux, lesquels font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves.
Si l’arrêt est rendu au visa des dispositions de l’article 1792-6 du code civil, à l’instar de la décision rendue le 30 janvier dernier, il comporte un attendu de principe par lequel « en vertu de ce texte, la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves ».
En définitive, selon la Cour de cassation, il importe désormais que la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage découle des critères du paiement des travaux et de la prise de possession de l’ouvrage.
Désormais, pour apprécier la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage, il convient donc d’apporter la preuve de deux conditions objectives et cumulatives.
La Cour de cassation a donc censuré l’arrêt de la cour d’appel (LIMOGES, 23 novembre 2017), qui affirmait qu’une réception tacite pouvait être retenue si la preuve est rapportée d’une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage sans réserves.
Ainsi, les autres éléments de fait allant dans le sens de l’absence d’équivoque de la volonté du maître de l’ouvrage, tel que les échanges intervenus, l’absence de réserves ou le paiement partiel avec des réserves exprimées ne semblent donc plus permettre de démontrer une réception tacite de l’ouvrage.
L’autre apport de cet arrêt est également l’inversion de la charge de la preuve en ce que la Cour de cassation introduit désormais une présomption au bénéfice de celui qui invoque la réception tacite.
Alors qu’auparavant il appartenait à celui-ci de démontrer et prouver la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir, celle-ci est désormais présumée avec le double critère de la prise de possession de l’ouvrage et du paiement intégral des travaux.
Dès lors que cette double preuve est rapportée, la volonté non équivoque est donc présumée.
En définitive, la preuve de la double condition facilite la démonstration de celui qui invoquerait une réception tacite et fait peser sur celui qui la conteste la preuve contraire.
Sans aucun doute, cet arrêt, rendu par la formation de section de la troisième chambre civile, devrait avoir une résonnance singulière puisque la décision est largement diffusée et communiquée faisant l’objet de publications aux Bulletin des arrêts des chambres civiles (P), Bulletin d’information de la Cour de cassation (B) ainsi que sur le site internet de la Cour de cassation (I).