Il est constant qu’en application de l’article 1792-6 du code civil, la réception d’un ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter cet ouvrage est établie.
À cet égard, il est constant que l’achèvement de l’ouvrage n’est pas une condition de la réception, de sorte qu’un ouvrage non achevé est toujours susceptible d’être réceptionné tacitement, dès lors qu’est caractérisée la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux en l’état.
Les deux arrêts qui ont été rendus par la Cour de cassation le 6 juin 2024 ne font donc que rappeler un principe qui est désormais bien établi.
Dans la première affaire (Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-23.557), des maîtres d’ouvrage ont fait procéder à la construction d’une maison d’habitation impliquant la réalisation de travaux de terrassement et d’un mur séparatif avec la propriété voisine.
Reprochant la réalisation de décaissements sur leur propriété à l’occasion de ces travaux, les voisins ont fait assigner les maîtres d’ouvrage, qui ont eux-mêmes appelé à la cause les constructeurs et leurs assureurs, afin de solliciter leur garantie au titre des condamnations qui viendraient être prononcées à leur encontre.
Par un arrêt en date du 24 août 2022, la Cour d’appel de Lyon a constaté la réception tacite de l’ouvrage (le mur) et a condamné l’entreprise de maçonnerie à indemniser les voisins de leurs préjudices, sous la garantie de son assureur RC décennale.
Afin de caractériser l’existence d’une réception tacite, les juges d’appel ont relevé que les maîtres d’ouvrage avaient pris possession des lieux, qui étaient alors habitables, à l’issue d’une « procédure de restitution des clés », après avoir refusé de donner suite à deux convocations qui leur avaient été adressées pour qu’il soit procédé à la réception des ouvrages.
Sur pourvoi de l’assureur RC décennale, l’arrêt a été cassé :
« Pour constater l’existence d’une réception tacite de l’ouvrage au 14 août 2014, l’arrêt relève que, selon le rapport d’expertise judiciaire, M. et Mme V. ont refusé la réception des travaux à la suite de deux convocations en 2013 et que la maison était habitable lorsqu’ils en ont pris possession à l’issue d’une procédure en restitution des clés. »
« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage de le recevoir, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Cette décision doit être mise en perspective avec l’arrêt qui a été rendu dans l’autre affaire ( Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-24.047), qui confirme que le critère déterminant de la réception tacite n’est pas l’achèvement de l’ouvrage, mais bien la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage en l’état, quel que soit son stade de réalisation.
Dans cette affaire, le maître d’ouvrage avait procédé à l’acquisition d’un hôtel, afin de le transformer en appartements après la réalisation d’importants travaux de réhabilitation.
Se plaignant de retards et d’un abandon de chantier, le maître d’ouvrage avait sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, avant de saisir le tribunal au fond.
Par un arrêt en date du 4 octobre 2022, la Cour d’appel de Pau a déclaré le maître d’ouvrage non fondé à agir sur le fondement de la garantie décennale, et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun au titre des dommages intermédiaires, au motif que l’existence d’une réception tacite supposait, à défaut d’achèvement, l’existence d’un ouvrage suffisamment avancé pour être utilisable conformément à l’objet pour lequel il a été réalisé.
Par son arrêt en date du 6 juin 2024, la Cour de cassation confirme une nouvelle fois que l’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une condition de la réception, il convient de s’attacher uniquement au seul critère de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux en l’état, et en l’espèce en l’état où il se trouvait à la suite de l’abandon de chantier :
« En statuant ainsi, alors que la réception tacite par le maître de l’ouvrage d’un immeuble d’habitation n’est pas soumise à la constatation par le juge que cet immeuble est habitable, la Cour d’appel a violé le texte susvisé. »