Cass, 3ème civ, 19 septembre 2024, n°22-24.808
Aux termes de l’article L 242-1 du code des assurances, tout propriétaire d’un ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, qui fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil.
Par un arrêt en date du 30 mars 1994, la Cour de cassation a très clairement indiqué que le défaut de souscription de l’assurance obligatoire dommages ouvrage par le maître de l’ouvrage ne saurait constituer, en lui-même, ni une cause des désordres, ni une cause exonératoire de la responsabilité de plein droit mise à la charge du locateur d’ouvrage par l’article 1792 du code civil (Cass, 3ème civ, 30 mars 1994, n°92-17.683, Publié au bulletin).
Le principe a depuis lors été constamment rappelé par la jurisprudence (Cass, 3ème civ, 2 juillet 2002, n°01-03913 ; Cass, 3ème civ, 17 décembre 2003, n°02-17.134), en ce sens que l’absence de souscription par le maître de l’ouvrage de l’assurance dommages ouvrage obligatoire, n’étant pas sanctionnée par la loi, elle ne peut être de nature à limiter son indemnisation.
La jurisprudence s’est également positionnée de façon identique lorsque le maître de l’ouvrage s’est abstenu de régulariser une déclaration de sinistre dommages ouvrage lorsque l’assurance avait été souscrite (Cass, 3ème civ, 1er mars 2006, n°04-20.399 ; Cass, 3ème civ, 11 octobre 1995, n°96-10.738).
Or, s’il s’entend assez facilement, s’agissant des dommages matériels, que l’absence de souscription de l’assurance dommages ouvrage ne constitue pas la cause des désordres, ni une circonstance exonératoire de responsabilité pour les constructeurs, le raisonnement peut être moins évident s’agissant des dommages immatériels consécutifs.
En effet, le régime de l’assurance dommages ouvrage a pour objet de contraindre l’assureur à prendre position sur sa garantie et de notifier une offre d’indemnisation, dans un délai extrêmement contraint, après avoir mis en œuvre une expertise amiable.
Le maître de l’ouvrage est donc censé obtenir l’indemnisation, par préfinancement, du coût des travaux réparatoires beaucoup plus rapidement qu’à l’issue d’une expertise judiciaire, ce qui n’est nécessairement pas sans conséquence sur l’appréciation des préjudices immatériels consécutifs au sinistre.
Il était dès lors permis de s’interroger sur l’opportunité d’étendre cette jurisprudence à l’indemnisation du préjudice immatériel du maître de l’ouvrage, dès lors que l’absence de souscription de l’assurance dommages ouvrage, pourtant obligatoire, aura nécessairement aggravé ses dommages immatériels du seul fait de l’allongement du délai d’indemnisation.
Dans l’arrêt rendu le 19 septembre 2024, la Haute juridiction ne souscrit pas à cette analyse et confirme que le défaut de souscription de l’assurance dommages ouvrage, par le maître de l’ouvrage, ne constitue ni une cause des désordres immatériels en l’espèce, ni une faute exonératoire de la responsabilité de plein droit des constructeurs, de sorte que s’était à bon droit qu’il avait été fait droit en l’espèce à la demande d’indemnisation des préjudices de jouissance, de relogement, moral et financier.
Si l’argument n’est pas évoqué dans l’arrêt, il peut être néanmoins considéré qu’en pareille circonstance, la faute du maître de l’ouvrage, tirée du défaut de souscription de l’assurance dommages ouvrage, est d’autant moins établie que l’obligation d’assurance découlant de l’article L 242-1 du code des assurances ne concerne que les dommages matériels.
Il est en effet constant qu’il n’est aucunement fait obligation au maître de l’ouvrage de souscrire une assurance dommages ouvrage au titre des dommages immatériels consécutifs (Cass, 3ème civ, 7 mars 2007, n°05-20.485, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 5 décembre 2019, n°18-20.181 ; Cass, 3ème civ, 5 mars 2020, n°18.15.164 ; Cass, 3ème civ, 29 juin 2022, n°21-13.666), pas plus d’ailleurs qu’au titre de la garantie de bon fonctionnement des éléments d’équipement, ou bien encore des dommages aux existants par répercutions, ce qui relève des garanties facultatives.
Sur ce, quand bien même le maître de l’ouvrage aurait-il satisfait à son obligation de souscrire une assurance dommages ouvrage, qu’il n’aurait pas pour autant été nécessairement garanti au titre des dommages immatériels, sans que l’on puisse lui reprocher une quelconque faute, dès lors que l’article L 242-1 du code civil ne prescrit aucune obligation à cet égard.
Il n’en reste pas moins que cette jurisprudence n’est très certainement pas de nature à responsabiliser les maîtres de l’ouvrage qui, pour la plupart, étant en réalité parfaitement informés de cette obligation légale, auront voulu le plus souvent faire l’économie d’une prime d’assurance au risque de devoir assumer ultérieurement, avec souffrance, le pré financement, beaucoup plus onéreux, d’une procédure judiciaire.
L’analyse de la Cour de cassation ne contribuera donc très certainement pas au processus de déjudiciarisation grandement souhaité par la Chancellerie.
La moralisation devra alors passer, peut-être un jour, par une modification législative.