Cass, 3ème civ, 21 septembre 2023, n° 22-15.340
Dans un arrêt rendu le 6 juillet 2023 (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2023, n° 22-10.884), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a une nouvelle fois rappelé que le juge doit rechercher s’il n’existe pas une disproportion manifeste entre le coût d’une solution réparatoire pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier, au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées.
C’est ainsi que, de façon désormais constante, mais sous réserve que cela lui soit demandé, la Cour de cassation procède à un contrôle concret de proportionnalité entre la démolition ordonnée et la gravité du droit réel transgressé, afin de s’assurer que la sanction retenue ne présente pas un caractère disproportionné au regard des dispositions de l’article 8 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Le principe est aujourd’hui parfaitement connu, en ce sens que si la réparation doit être à la mesure du préjudice subi, elle ne peut être disproportionnée (Cass, com, 13 juin 2019, n° 18-10.688).
Mais quand est-il lorsque l’action en démolition d’un ouvrage procède d’une situation d’empiètement sur le terrain d’autrui ?
Dans un arrêt en date du 15 décembre 2016 (Cass, 3ème civ, 15 décembre 2016, n° 16-40.240), la Cour de cassation, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise, a très clairement rappelé que l’article 545 du code civil, qui reprend le principe énoncé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et soumet toute privation de propriété à la constatation d’une utilité publique et au versement d’une juste et préalable indemnité, assure la défense du droit de propriété contre tout empiètement qui ne serait pas fondé sur une nécessité publique.
Il était alors également rappelé que la défense du droit de propriété, défini par l’article 544 du code civil comme le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, n’est pas susceptible de dégénérer en abus de droit.
Le ton était ainsi donné.
Sur ce, si la jurisprudence a très clairement admis que la sanction de la démolition ne peut être ordonnée qu’au sujet de la partie de l’ouvrage qui empiète sur le fonds voisin, elle s’est toujours montrée peu réceptive à l’exercice d’un contrôle de proportionnalité sur la sanction de la démolition en situation d’empiètement.
Ainsi, dans un arrêt en date du 28 juin 2018 (Cass, 3ème civ, 28 juin 2018, n° 17-22.037), la Cour de cassation a refusé de statuer par une décision spécialement motivée, au motif que le moyen de cassation n’était manifestement pas de nature à entraîner la censure, alors qu’au sujet de l’empiètement d’une palissade, il était invoqué que le juge devait vérifier si l’empiètement justifiait, au regard du principe de proportionnalité, la démolition.
Plus récemment, dans un arrêt rendu le 9 juillet 2020 (Cass, 3ème civ, 9 juillet 2020, n° 18-11.940), la Cour de cassation a été amenée à indiquer que :
« 12. M. H… n’est pas fondé à invoquer le principe de proportionnalité pour contester la fixation de la limite séparative révélant l’existence d’un empiètement de sa construction sur la parcelle contiguë, dès lors que cet empiètement porte atteinte au droit au respect des biens du propriétaire de cette parcelle. »
La généralisation du contrôle de proportionnalité, y compris en matière de liquidation d’astreinte (Cass, 2ème civ, 20 janvier 2022, n° 19-23721 ; n° 20-15261 et n° 19-22435), a pu laisser imaginer que le rempart du respect de la propriété privée pourrait céder au nom du principe d’équipé et d’équilibre.
L’arrêt qui a été rendu le 21 septembre 2023 (Cass, 3ème civ, 21 septembre 2023, n° 22-15.340) aura très certainement douché ces espérances.
Dans cette espèce, des particuliers qui avaient assigné un Syndicat des copropriétaires pour faire cesser divers empiètements sur leur fonds avaient été déboutés de leur demande, au motif que si les empiètements étaient avérés, il convenait néanmoins d’apprécier si la démolition réclamée n’était pas démesurée compte tenu des intérêts en présence.
Et la cour d’appel d’indiquer alors que : « Après avoir constaté que les parcelles de M. et Mme (E) ne supportent aucune construction et que la demande de démolition porte atteinte à la consistance même de l’immeuble, et donc à la solidité et à la sécurité des occupants, mais également à la collectivité des copropriétaires risquant d’être privés d’eau, d’électricité et de téléphone, il en déduit qu’il existe une disproportion manifeste entre l’atteinte au droit de propriété subie et la mesure sollicitée. »
Et la Haute juridiction de casser sèchement cet arrêt en des termes très clairs :
« En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors que tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » (Cass, 2ème civ, 20 janvier 2022, n° 19-23721 ; n° 20-15261 et n° 19-22435).
(article 545 du code civil).
La sanction radicale de la démolition, y compris en présence d’un empiètement marginal sur la propriété d’autrui, n’a donc pas fini de prospérer en jurisprudence.