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Le caractère indéterminé d’un sinistre peut-il constituer une cause d’exonération de responsabilité sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ?

A propos de : Cass, 3ème civ, 8 février 2018, n° 16-25794

Un couple de maître de l’ouvrage a confié l’édification d’une maison d’habitation à un constructeur de maison individuelle, qui a sous-traité le lot électricité. Après que les ouvrages ont été réceptionnés, un incendie a partiellement détruit l’immeuble, ensuite de quoi l’assureur multirisques habitation a procédé au financement des travaux de reconstruction.

L’assureur dommages a ensuite engagé une procédure à l’encontre du constructeur et de son assureur RC décennale, ainsi qu’à l’encontre du sous-traitant et de son propre assureur, afin d’obtenir le remboursement des indemnités versées à ses assurés.

Pour rejeter son recours, la cour d’appel de Riom avait retenu que l’expert de justice avait constaté une origine électrique de l’incendie provenant des combles de la maison, dont la cause était demeurée inconnue, alors que le maître de l’ouvrage lui-même, postérieurement à la réception, avait installé des prises de courant et l’éclairage dans le garage en traversant les combles de son habitation, tout en ajoutant de la laine de verre sur l’isolation d’origine.

La cour d’appel avait alors conclu que, pour mettre en œuvre l’obligation du constructeur fondée sur les dispositions de l’article 1792 du Code civil, le dommage doit être incontestablement relié à un vice de la construction, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la cause de l’incendie étant restée indéterminée, alors que de surcroît le maître de l’ouvrage avait lui-même modifié l’installation électrique après la réception des ouvrages, tout en ajoutant une couche d’isolant dans les combles où le feu avait pris.

Au visa de l’article 1792 du Code civil, l’arrêt est cassé au motif : « Qu’en statuant ainsi, tout en constatant une origine électrique de l’incendie et par des motifs impropres à établir l’existence d’une cause étrangère, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Cette décision, qui n’est pas publiée au bulletin, laisse toutefois à penser que la Cour de cassation entend faire prévaloir la présomption de responsabilité qui découle des dispositions de l’article 1792 du Code civil, au préjudice de la notion d’imputabilité des désordres aux travaux réalisés, au motif qu’elle ne n’effacerait que devant la cause étrangère, ce qui ne manque pas de surprendre.

En effet, les notions d’imputabilité et de responsabilité doivent être clairement distinguées, de sorte que la preuve que les désordres sont imputables aux travaux réalisés par le constructeur, dans le cadre du marché qui lui a été confié, constitue le préalable nécessaire à la déclaration de responsabilité qui peut parfaitement être présumée quant à elle, ne s’imposant pas alors la preuve de la cause exacte du désordre.

L’origine du désordre, qui doit se rattacher à l’intervention de l’entreprise, ne peut se confondre avec sa cause qui elle seule se trouve soumise au régime de la présomption découlant des dispositions de l’article 1792 du Code civil.

Il est vrai que dans un arrêt rendu le 5 novembre 2013 (Cass, 3ème civ, 5 novembre 2013, n° 12-28310), la Cour de cassation a déjà indiqué que :

« Attendu que pour débouter la SCI de ses demandes à l’encontre de la société Brossard, l’entreprise A… et la société Axa, l’arrêt retient que les constatations et explications contradictoires des deux experts ne permettent pas au juge de déterminer l’origine des désordres invoqués par la SCI défaillante dans l’administration de la preuve. »

« Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la responsabilité de plein droit des constructeurs, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé. » 

Pour autant, depuis lors, la Cour de cassation a très régulièrement rappelé son attachement à la nécessité d’une d’imputabilité suffisante entre le désordre et l’intervention de l’entreprise, nonobstant le principe de présomption de responsabilité découlant de l’article 1792 du Code civil.

Ainsi, dès 2009 (Cass, 3ème civ, 3 novembre 2009, n° 08-19871), la Cour de cassation n’avait pas manqué d’en rappeler très clairement le principe : « Attendu qu’ayant constaté que M. X ne rapportait pas la preuve de l’imputation à M. Y des désordres dont il se plaignait, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. »

Encore, dans un arrêt rendu le 25 mars 2015 (Cass, 3ème civ, 25 mars 2015, n° 13-27584, 14-13927, 14-16441, 14-19942), la Cour de cassation devait indiquer que :

« Attendu que pour condamner la société Allianz IARD, la société Dall’Erta et la SMABTP à garantir la MAF du montant des condamnations prononcées à son encontre, l’arrêt retient que la cause des désordres est indifférente à la mise en jeu de la présomption de responsabilité, dont le constructeur ne peut s’exonérer qu’en cas de justification d’une cause étrangère, et que l’assureur n’est pas fondé à se prévaloir du défaut d’imputabilité des désordres à son assuré, les constructeurs n’étant pas recevables à invoquer la faute des autres constructeurs pour s’exonérer de leur présomption de responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage ou de l’assureur subrogé dans ses droits. »

« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les désordres affectaient une partie d’ouvrage à la réalisation de laquelle les sociétés Couverture varoise et Dall’Erta avaient participé, alors que la garantie décennale d’un constructeur ne peut pas être mise en œuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention, la cour d’appel n’a donné de base légale à sa décision. »

Le principe selon lequel la garantie décennale d’un constructeur ne peut pas être mise en œuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention, a encore été rappelé, s’agissant de travaux neufs sur existants, dans un arrêt du 20 mai 2015, publié au bulletin (Cass, 3ème civ, 20 mai 2015, n° 14-13271) :

« Mais attendu qu’ayant relevé que les désordres relatifs aux corniches, aux murs de soutènement et soubassements n’étaient pas imputables aux travaux réalisés par la société Castellani et, procédant à la recherche prétendument omise, que M. X… ne démontrait pas que la prétendue violation de son obligation de conseil et d’information par la société Castellani serait à l’origine de ces désordres et malfaçons, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »

C’est donc en toute logique que la Cour de cassation, statuant sur un recours faisant suite à un sinistre incendie, avait indiqué dans un arrêt en date du 4 mai 2016 (Cass, 3ème civ, 4 mai 2016, n° 15-14700) que :

« Mais attendu qu’ayant relevé que la seule certitude exprimée par l’expert, qui avait fait siennes les conclusions du sapiteur, portait sur le point de départ de l’incendie, situé, selon lui, dans le tableau électrique installé dans le garage et que les conclusions de l’expert étaient formulées en termes hypothétiques ou affirmatifs, sans qu’une démonstration ne justifie cette affirmation, et retenu que M. et Mme X…, Mme Z… et la MAIF ne prouvaient pas que l’incendie serait en lien avec un vice de construction ou une non-conformité de l’armoire électrique, la cour d’appel en a exactement déduit que les demandes fondées sur la garantie décennale du constructeur devaient être rejetées. »

L’arrêt rendu le 8 février 2018 semble donc constituer une rupture avec cette jurisprudence, ce d’autant plus qu’en l’espèce, outre le fait que l’expert de justice a simplement déterminé une origine électrique de l’incendie provenant des combles, sans pour autant en déterminer exactement la cause, il apparait que le maître de l’ouvrage, lui-même et postérieurement au prononcé de la réception, est intervenu pour installer des prises de courant et l’éclairage dans le garage traversant les combles où l’incendie a pris naissance, sans que cette circonstance ne soit considérée comme étant étrangère à la réalisation du sinistre.

En définitive, la Cour de cassation a manifestement considéré que l’origine électrique du sinistre, déterminée par l’expert de justice, constituait la preuve suffisante d’une imputabilité avec l’intervention de l’entreprise, nonobstant la propre intervention du maître de l’ouvrage sur l’installation, de sorte que la présomption de responsabilité de l’article 1792 du Code civil devait trouver à s’appliquer, sans qu’il puisse établie l’existence d’une cause étrangère.

L’analyse apparait des plus contestable et n’est pas sans poser difficulté pour l’assureur de responsabilité décennale, qui pourra peut-être trouver dans cette jurisprudence la marque d’un acharnement judiciaire après les différentes décisions qui ont été rendues sur le quasi-ouvrage depuis le 15 janvier 2017.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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