Cass, 3ème civ, 11 mai 2023, n° 21-23.859, publié au Bulletin
Les époux B. ont conclu un contrat de construction de maisons individuelles et ont souscrit un prêt immobilier affecté au financement de leur opération immobilière.
Le constructeur n’a pas souscrit de garantie de livraison à prix et délai convenus.
Un rapport d’expertise judiciaire a conclu à la nécessité de procéder à la démolition et à la reconstruction de l’ouvrage du fait de nombreuses malfaçons imputables au constructeur.
Les époux B. ont alors engagé une action en responsabilité à l’encontre de la banque, du fait de la défaillance du constructeur, dès lors que, selon une clause du contrat de prêt, les fonds ne devaient être débloqués qu’après la remise au préteur de deniers de l’attestation de garantie de livraison à prix et délai convenus.
La cour d’appel a condamné la banque à indemniser les époux B. à hauteur d’une somme limitée à 270.000,00 euros au titre du coût de l’achèvement de l’ouvrage, et de 33.188,00 euros au titre des pénalités de retard.
Ce faisant, la cour d’appel a limité le préjudice matériel des maîtres de l’ouvrage résultant de la méconnaissance par la banque de son obligation contractuelle, pour avoir libéré les fonds avant la remise de l’attestation de garantie de livraison qui devait être souscrite par le constructeur, au motif que cette faute avait fait perdre une chance aux acquéreurs de bénéficier de la garantie de livraison, en l’espèce fixée à 90 % de leur préjudice.
L’arrêt est cassé, au motif qu’ : « En statuant ainsi, alors que la faute était à l’origine d’un préjudice certain causé par l’absence de garantie de livraison, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
- Il sera tout d’abord rappelé qu’il résulte des dispositions de l’article L 231-2 K du code de la construction et de l’habitation que doivent être annexées au contrat de construction de maison individuelle : « k) Les justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties étant établies par le garant et annexées au contrat. »
Le défaut de remise au maître de l’ouvrage du justificatif de la souscription de la garantie de livraison à prix et délai convenus, lors de la signature du contrat de construction de maisons individuelles, est sanctionné par sa nullité.
Bien entendu, il peut toujours être convenu d’une remise différée dans le cadre des conditions suspensives, pourvu que le justificatif soit remis au maître de l’ouvrage avant l’expiration du délai prévu pour la réalisation de la condition et au plus tard à la date d’ouverture du chantier (Cass, 3ème civ, 30 mars 2011, n° 10-13457 et 10-13854 : « Qu’ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que la garantie de livraison avait été délivrée à la société ESB postérieurement à l’expiration du délai contractuel de réalisation des conditions suspensives et après le début des travaux, la cour d’appel a exactement retenu que les articles L. 231-2, k et L. 231-4 du code de la construction et de l’habitation étant d’ordre public, en application de l’article L. 230-1 du même code, le contrat conclu le 8 avril 2003 était nul ; »
À défaut de remise au maître de l’ouvrage d’une attestation nominative du garant de livraison, la sanction encourue est la nullité du contrat de construction, s’agissant d’une disposition d’ordre public.
- Cass, 3ème civ, 30 mars 2011, n° 10-13457 :
« Mais attendu que si le contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture du plan peut être conclu sous la condition suspensive de l’obtention de la garantie de livraison, le délai maximum de réalisation de cette condition suspensive ainsi que la date d’ouverture du chantier, déterminée à partir de ce délai, doivent, à peine de nullité, être précisés par le contrat ; qu’ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que la garantie de livraison avait été délivrée à la société ESB postérieurement à l’expiration du délai contractuel de réalisation des conditions suspensives et après le début des travaux, la cour d’appel a exactement retenu que les articles L. 231-2,k et L. 231-4 du code de la construction et de l’habitation étant d’ordre public, en application de l’article L. 230-1 du même code, le contrat conclu le 8 avril 2003 était nul ; »
- Mais en l’espèce, ce n’était pas de la nullité du contrat de construction en application des dispositions de l’article L 231-2 K dont il était question, mais de la responsabilité pour faute du préteur de deniers.
La cassation de l’arrêt d’appel est prononcée sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil, applicables au cas d’espèce, dont il résulte que le débiteur doit être condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
La faute résulte ici de « la méconnaissance par la banque de son obligation stipulée au contrat de prêt, de ne pas débloquer les fonds avant présentation de l’attestation de garantie de livraison souscrite par le constructeur ».
En réalité, indépendamment de toute mention précise à ce sujet dans le contrat de prêt, il ne s’agit ni plus ni moins que du respect des dispositions de l’article L 231-10 du code de la construction et de l’habitation, dont il résulte que : « Aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s’il n’a pas communication de l’attestation de garantie de livraison ».
Si la Cour de cassation impose au prêteur de deniers de vérifier, au moment de l’émission de l’offre de prêt, que le contrat de construction comporte bien les énonciations mentionnées à l’article L 231-2 du code de la construction et de l’habitation, et lors du déblocage des fonds que l’attestation nominative de garantie de livraison a bien été remise, elle ne lui impose pas de vérifier les modalités de délivrance de l’attestation de garantie (Cass, 3ème civ, 26 septembre 2007, n° 06-17.081), pas plus que l’exactitude du contenu des mentions figurant dans le contrat de construction de maisons individuelles (Cass, 3ème civ, 24 novembre 2016, n° 15-13.748).
En l’espèce, la faute de la banque n’était pas discutée, dès lors que les fonds n’auraient jamais dû être débloqués au profit du constructeur, sans qu’il ait été préalablement vérifié que l’attestation de garantie à prix et délai convenu avait bien été délivrée.
- L’apport de l’arrêt du 11 mai 2023, qui est publié, tient à la détermination du préjudice découlant pour le maître de l’ouvrage du manquement du banquier à son obligation de vérification préalable.
A cet égard, les juges d’appel avaient considéré que la faute commise par le banquier avait fait perdre une chance aux acquéreurs de bénéficier d’une garantie de livraison, fixant alors leur préjudice indemnisable à hauteur de 90 %.
Il est toutefois constant que, dans les cas de défaillance du constructeur visés au paragraphe II de l’article L 231-6 du code de la construction et de l’habitation, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables des versements excédant le pourcentage maximum du prix total exigible aux différents stades de la construction, compte tenu de l’état d’avancement du chantier, dès lors que le versement procède de l’exécution d’une clause irrégulière du contrat.
Dans la même logique, il apparait tout à fait normal que le banquier assume les conséquences préjudiciables d’un déblocage de fond sans qu’il soit justifié de la délivrance de l’attestation de garantie de livraison, s’agissant d’une situation assimilable à un déblocage de fonds anticipé.
Par ailleurs, il n’est pas ici reproché au prêteur de deniers d’avoir manqué à une obligation de conseil ou d’information, dont le non-respect est habituellement sanctionné par la perte de chance, mais de ne pas avoir respecté une prescription d’ordre public exigée par l’article L 231-10 du code de la construction et de l’habitation, dont le contenu était rappelé dans l’acte de prêt, de sorte que le préjudice ne peut être considéré comme étant aléatoire.
Enfin, il sera observé que la Cour de cassation a déjà refusé de limiter l’indemnisation du maître de l’ouvrage, pour ne pas avoir lui-même vérifié la délivrance de l’attestation de garantie de livraison lors de la souscription du prêt destiné à financer le contrat de construction (Cass, 3ème civ, 25 mai 2011, n° 10-10.905), ce à quoi aurait en définitive conduit la détermination du préjudice indemnisable sur le fondement d’une perte de chance.