Cass, 1ère civ, 19 avril 2023, n° 21-23.726, publié au bulletin
Dans cette affaire, la société GDF SUEZ (ENGIE) avait confié la réalisation d’une centrale de production d’électricité photovoltaïque à la société SMAC, qui avait alors procédé à l’acquisition des panneaux photovoltaïques auprès de la société TENESOL (SUNPOWER), qui avait elle-même assemblé les connecteurs fabriqués et fournis par la société TYCO (TE CONNECTIVITY SOLUTION).
A la suite de la mise en service de l’installation, la société ENGIE avait constaté des interruptions de production de l’électricité, ce qui avait justifié la mise en œuvre d’une expertise judiciaire dont les conclusions mettaient en cause un défaut des connecteurs.
La société ENGIE a donc engagé une procédure au fond à l’encontre de la SMAC, de la société SUNPOWER et de la société TE CONNECTIVITY SOLUTION, afin d’être indemnisée de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux d’une part, et sur le fondement de la garantie des vices cachés d’autre part.
La société TE CONNECTIVITY SOLUTION, en sa qualité de producteur, a été directement condamnée à indemniser la société ENGIE (maître de l’ouvrage) de son préjudice immatériel consécutif à la défectuosité des connecteurs, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.
La société ENGIE a par ailleurs obtenu la condamnation de la société SMAC, sous la garantie de la société SUNPOWER au titre de la garantie des vices cachés, à l’indemniser de son préjudice matériel, constitué par le coût de la dépose et du remplacement des panneaux photovoltaïques défectueux.
Toutefois, la société SUNPOWER a été déboutée de son recours sur le fondement de la garantie des vices cachés à l’encontre de son fournisseur des composants incriminés, la société TE CONNECTIVITY SOLUTION, du fait de la condamnation prononcée à son encontre au titre du préjudice matériel, au motif que les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient réunies en l’espèce et qu’elle était exclusive de toute autre.
Au soutien de son pourvoi en cassation, la société SUNPOWER faisait savoir que le fait que le producteur ait vu sa responsabilité retenue à l’égard de l’acquéreur final (maître de l’ouvrage), sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, n’excluait pas qu’il puisse être déclaré tenu de garantir le vendeur intermédiaire, qu’elle était, sur le fondement de la garantie des vices cachés.
La cassation est prononcée par l’arrêt de la 1ère Chambre civile du 19 avril 2023 (pourvoi n° 21-23.726), qui fait l’objet d’une publication au bulletin.
- En application de l’article 1245-1 alinéa 2 (ex. article 1386-2 alinéa 2 du code civil), la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique uniquement à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
Le producteur ne peut donc pas être tenu à indemniser le maître de l’ouvrage de son préjudice matériel découlant du coût de dépose, de fourniture et de repose des panneaux photovoltaïques, ce que la Cour de cassation a au-demeurant rappelé dans un autre arrêt du même jour (Cass, 1ère civ, 19 avril 2023, n° 25-15.093, non publié).
La Haute juridiction a donc validé l’analyse des juges d’appel, qui avaient considéré que si la responsabilité du fait des produits défectueux était applicable en l’espèce, dès lors que la défectuosité des panneaux était établie puisqu’étant susceptibles de causer un incendie et qu’ils devaient être remplacés, elle ne pouvait entrainer la prise en charge des dommages causés aux biens livrés, soit le coût de remplacement des panneaux photovoltaïques.
La mise en cause du producteur, au titre de l’indemnisation du préjudice matériel, nécessite donc de recourir à un autre fondement juridique qu’est la garantie des vices cachés.
- En effet, l’arrêt indique très clairement que la responsabilité du producteur sur le fondement des produits défectueux, au titre des dommages résultant d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, n’est pas exclusive de la garantie des vices cachés au titre des dommages qui résultent d’une atteinte au produit vendu.
Indépendamment du régime de responsabilité spécifique prévu par l’article 1245-1 alinéa 2 du code civil, tout vendeur est tenu à l’égard de son cocontractant de la garantie des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix.
Sur ce, souscrivant au motif du pourvoi, la Haute juridiction valide que le fait que le fournisseur soit déclaré responsable à l’égard du maître de l’ouvrage sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (en réparation du préjudice immatériel) n’exclut pas qu’il puisse être également tenu de garantir le vendeur intermédiaire sur le fondement de la garantie des cachés (en réparation du préjudice matériel).
Le délai dont dispose l’entrepreneur pour former son recours en garantie contre le fabricant, en application des dispositions de l’article 1648 du code civil, court alors à compter de la date de l’assignation délivrée à son encontre (Cass, com, 29 juin 2002, n° 19-20.647).
La solution est tout à fait logique, dès lors que si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux sont effectivement réunies, elles ne permettent au maître de l’ouvrage que d’obtenir du producteur l’indemnisation de son préjudice immatériel, le contraignant ainsi à recourir à l’encontre des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ou des dommages intermédiaires pour la réparation de son préjudice matériel.
Sur ce, le producteur ne saurait être exonéré de toute responsabilité à l’égard de son cocontractant (vendeur intermédiaire) au titre du préjudice matériel, du seul fait que sa responsabilité aurait été distinctement recherchée par le maître d’ouvrage sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, ce qui aurait alors pour conséquence de lui conférer une forme d’impunité totalement injustifiée.
- Enfin, l’arrêt non publié du 19 avril 2023 (Cass, 1ère civ, 19 avril 2023, n° 21-15.093) apporte une contribution supplémentaire concernant l’exercice du recours subrogatoire de l’assureur du vendeur intermédiaire à l’encontre du producteur.
En l’espèce, après avoir transigé avec le maître de l’ouvrage, l’assureur du constructeur de la centrale de production d’électricité photovoltaïque avait exercé un recours subrogatoire à l’encontre de la société SCHEUTEN SOLAR SYSTEMES, en sa qualité de fournisseur des panneaux photovoltaïques.
La cour d’appel avait néanmoins rejeté son recours fondé sur la garantie des vices cachés, au motif que l’assureur était subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, du fait de son paiement, lequel n’avait pas conclu de contrat de vente avec le fournisseur des panneaux.
Or, il est constant que l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage à l’encontre du constructeur en l’absence de contrat de vente, puisque leur relation s’inscrit dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage (Cass, com, 29 juin 2022, n° 19-20.647).
La cassation est prononcée sur pourvoi de l’assureur, dès lors que s’il est effectivement subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage qui a été indemnisé en exécution d’un protocole transactionnel, l’assureur est également subrogé dans les droits de son assuré, qui dispose quant à lui d’un recours contractuel issu du contrat de vente.
Il est ainsi très opportunément rappelé que si la subrogation conventionnelle implique que le créancier, qui reçoit le paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits à l’encontre du débiteur, il n’en reste pas moins que le régime de la subrogation légale est toujours applicable, l’article L 121-12 du code des assurances disposant à cet égard que : « L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ».
Il est alors indifférent que le paiement soit directement effectué entre les mains du tiers victime et non de l’assuré.
Dans le domaine de l’assurance de chose, la subrogation légale de l’assureur contre le tiers responsable, instituée par l’article L 121-12 du code des assurances, dont les dispositions ne sont pas impératives, n’exclut pas la possibilité d’une subrogation conventionnelle (Cass, 1ère civ, 9 décembre 1997, n° 95-19.003) … et vice et versa donc, de sorte que l’assureur peut toujours se prévaloir d’une subrogation dans les droits du maître d’ouvrage ou de son assuré pour les besoins de ses recours.
A toute fin, il sera rappelé que ce principe ne vaut pas en matière d’assurance de personne, en application des dispositions de l’article L 131-2 du code des assurances, puisqu’alors l’assureur, après le paiement de la somme assurée, ne peut-être subrogé dans les droits du contractant ou du bénéficiaire contre des tiers à raison du sinistre, compte tenu du caractère forfaitaire de l’indemnisation, à l’exception des prestations à caractère indemnitaire prévues au contrat d’assurance.