La vie d’un contrat public n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Les modifications apportées au cours de l’exécution du contrat, à la suite de circonstances imprévues ou d’une modification du programme initial, viennent parfois remettre en cause un équilibre fragile entre des partenaires de forces parfaitement inégales.
Qu’elles soient sollicitées par la personne publique ou imposées à elle, leur prise en charge financière interroge, dès lors qu’elles n’ont pas été chiffrées lors de la définition des besoins de la personne publique, pas plus qu’elles n’ont été anticipées dans le prix du titulaire du marché. L’administration et son cocontractant doivent alors faire évoluer leurs engagements respectifs, sauf à s’en remettre à un juge qui arrêtera sa décision sur la base du droit positif.
Les outils du droit administratif n’ont pas permis jusqu’alors, de résoudre efficacement les difficultés nées de telles modifications. Sauf accord des parties, le titulaire supporte les conséquences des adaptations du contrat, puis saisit le juge administratif sur un fondement indemnitaire avec plus ou moins de succès.
La médiation administrative introduite par la loi du 18 novembre 2016 répondra-t-elle de façon mieux adaptée à la résolution de ces difficultés, ainsi que l’ont affirmé ses rapporteurs.
La situation actuelle n’étant nullement satisfaisante (1), les atouts de la médiation administrative pourraient bien apporter des éléments de réponse pertinents pour les partenaires liés par un contrat public (2).
1. Les contraintes liées à la modification des contrats publics en cours d’exécution
Les contrats publics, comme tous contrats, sont soumis au principe de la force obligatoire qui engage les parties à exécuter les obligations auxquelles elles ont consenties[1]. Le cocontractant se lie sur la nature et l’étendue des prestations, leur montant et leur délai d’exécution, stipulations contenues dans le contrat et ses avenants mais dont la mise en œuvre fait l’objet de mesures d’exécution informelles, ordres de services, lettres de mission, sollicitations verbales.
Le principe jurisprudentiel de la mutabilité des contrats administratifs, propre au droit public, selon lequel la personne publique dispose de la faculté de modifier unilatéralement le contrat pour un motif d’intérêt général ; l’obligation d’exécution intégrale du contrat, y compris en présence de difficultés imprévues ou d’un changement des circonstances d’exécution ; et enfin la dépendance économique – même relative – qui s’instaure entre les parties, conduisent parfois le cocontractant à accepter des prestations bien au-delà des seules stipulations contractuelles, sans pour autant disposer d’un écrit.
Confronté à une modification substantielle de ses prestations contractuelles, le titulaire peut adresser une réclamation, qui ne le libère pas de ses obligations, et que le maître d’ouvrage public restera libre de rejeter sans même devoir s’en justifier, avec pour seul recours celui du juge. Les marchés publics s’achèvent alors sur des difficultés financières pour les cocontractants privés qui répondent de moins en moins aux procédures d’appel d’offres.
Lorsque les circonstances le justifient, la juridiction administrative, s’appuyant sur le principe de loyauté dans l’exécution des contrats, a reconnu un droit à compensation financière au profit du cocontractant de l’administration confronté à des aléas non prévus dans l’exécution du marché, lorsque ses prestations bénéficient in fine à la personne publique.
Les théories jurisprudentielles de l’imprévision et des sujétions techniques imprévues permettent ainsi de justifier l’octroi par l’administration d’une indemnisation pour le cocontractant qui a dû faire face à un événement ou des difficultés matérielles exceptionnel(les), imprévisible(s) et extérieur(s) qui bouleversent l’économie du contrat[2], à la condition toutefois que le cocontractant n’ait pas interrompu l’exécution de ses prestations[3]. En effet, la non-exécution d’un marché public par son titulaire engagerait sa responsabilité contractuelle et elle l’exposerait au prononcé d’une sanction, sans aucun droit à indemnité.
Les cocontractants de l’administration ne peuvent cependant pas toujours se permettre de préfinancer ces prestations et une indemnité versée au terme de l’exécution du contrat s’avèrera inutile si l’entreprise a été mise en difficulté financière du fait même de l’exécution du contrat.
Réciproquement, la situation qui résulte d’une modification du contrat en cours d’exécution n’est pas nécessairement plus aisée pour l’administration qui doit supporter un surcoût imprévu lors de la définition de l’enveloppe globale du marché. La seule alternative pour elle sera alors de recourir à l’emprunt, alourdissant sa dette publique, la condamnation du juge n’étant évidemment pas plus aisée à faire accepter politiquement.
Une discussion en amont, dès l’apparition des difficultés financières liées à l’exécution de prestations supplémentaires, ne serait-elle pas plus satisfaisante ?
2. La médiation outil d’accompagnement des évolutions contractuelles
Depuis la loi du 18 novembre 2016 « Justice 21 »[4] et le décret du 18 avril 2017[5], le Code de justice administratif comprend un nouveau chapitre relatif à la médiation[6] qui reprend l’essentiel des dispositions de l’ordonnance du 16 novembre 2011[7] relative à la médiation civile et commerciale.
La médiation s’entend de tout processus par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers[8].
Lorsqu’elles acceptent de recourir à un processus de médiation, les parties cocontractantes confient à un tiers désigné par elles ou par le juge, la mission de les aider à définir un accord qui leur donne mutuellement satisfaction. Ce tiers neutre, indépendant et impartial, doit être formé à la médiation et disposer d’une connaissance en droit des contrats publics qui lui permettra de mieux appréhender les problématiques des parties.
L’analyse multidimensionnelle du conflit rendue possible par le processus de médiation autorise par ailleurs la définition d’une solution globale qui se concentre sur le maintien de la relation entre les partenaires et permet d’éviter l’arrivée de nouveaux conflits. La solution intègre des problématiques économiques, financières, sociales ou politiques qui n’auraient pas pu être prises en compte par le juge, et si elle respecte nécessairement le droit applicable, elle ne s’y résume pas, laissant place à une plus grande liberté de décision.
Circonscrite dans le temps, couverte par un principe de confidentialité absolu, la médiation intervient à tout moment et elle dure rarement plus de 3 mois, de sorte que les parties n’ont pas à attendre la fin de l’exécution du contrat pour mettre un terme à leur litige. Par opposition à la négociation qui règle ponctuellement un conflit, la médiation réinstaure la communication de façon durable. Les parties peuvent poursuivre l’exécution de leur contrat et même lorsqu’elles ne parviennent pas à un accord final, les engagements pris au cours de la médiation apportent une amélioration dans leurs relations.
Enfin, les efforts du pouvoir réglementaire tendant à préciser positivement les conditions du recours aux transactions administratives pour la prévention et le règlement des litiges à travers une circulaire en date du 7 septembre 2009[9] et faciliter les modalités de modification d’un marché public contribueront à une meilleure mise en œuvre de l’accord de médiation qui prend la forme d’une transaction.
Dans quelle mesure la médiation administrative deviendra-t-elle un véritable outil de résolution des litiges nés de l’exécution des marchés publics ? Les nombreux défis relevés à travers le processus de médiation devront être abordés avec sérénité, imagination, inventivité et enthousiasme par l’ensemble des partenaires pour parvenir à développer dans un esprit d’échange et de productivité les relations contractuelles entre les administrations et leurs cocontractants.
[1] CE, 17 novembre 1967, de la Brille, Rec. p. 428 ; CE, 18 mars 1988, Société civile des néo-polders, Rec. p. 129 ; CE Ass., 29 juin 2001, M. Berton
[2] CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Rec. p. 125 ; CE, 30 juillet 2003, Commune de Lens, n° 223445, Rec. T. p. 862
[3] CE Sect., 5 novembre 1982, Société Propétrol, n° 19413
[4] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle
[5] Décret n° 2017-566 du 18 avril 2017 relatif à la médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif
[6] Chapitre III du Titre 1er du Livre II du code de justice administrative
[7] Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive européenne 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale
[8] Article L.213-1 du Code de justice administrative
[9] Circulaire en date du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l’exécution des contrats de la commande publique, NOR : ECEM0917498C