Cass, 3ème civ, 13 avril 2023, n° 22-10.487, publié
Cass, 3ème civ, 30 mars 2023, n° 21-25.920
Cass, 3ème civ, 11 janvier 2023, n° 21-20.418
Par trois arrêts rendus depuis le début de l’année 2023, dont un arrêt destiné à la publication, la Cour de cassation a très clairement précisé, ou tout simplement rappelé, les principes essentiels qui gouvernent la qualité à agir en matière de garantie décennale et d’assurance dommages ouvrage.
- En premier lieu, dans un arrêt en date du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a rappelé qu’en application des dispositions de l’article L 242-1 du code des assurances, l’assurance dommages ouvrage, qui est une assurance de choses, bénéficie au maître d’ouvrage ou aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits.
Dès après l’aliénation de l’immeuble, le Syndicat des copropriétaires devient le bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage, de sorte que le maître de l’ouvrage condamné à réparer des désordres de nature décennale se trouve privé de recours à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, sauf subrogation légale dans les droits de l’acquéreur (au titre de travaux de reprise déjà réalisés ou de mesures conservatoires déjà prises en charge), ce qui avait déjà été précisé dans un arrêt rendu le 20 octobre 2004 (Cass, 3e civ., 20 octobre 2004, n° 03-13. 599).
Seul donc le Syndicat des copropriétaires a qualité à agir à l’encontre de l’assureur RC décennale ou de l’assureur dommages ouvrage en cas de sinistre relevant des dispositions de l’article 1792 du code civil.
- En second lieu, dans un arrêt en date du 30 mars 2023, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel la garantie décennale des constructeurs bénéficie au maître de l’ouvrage, c’est-à-dire à celui qui a conclu les marchés de travaux.
En l’espèce, une société A. avait réalisé des travaux d’aménagement d’une boulangerie et alors que les travaux n’étaient pas encore réceptionnés, elle avait conclu un bail commercial au nom d’une autre société en cours de formation.
Dans le bail commercial, une première clause disposait que le preneur avait l’obligation de procéder à ses frais aux travaux d’aménagement des locaux, et une seconde clause disposait que les travaux d’aménagement n’accéderaient au bailleur qu’à la fin du bail.
Mais en l’espèce, il était tout à fait clair que les travaux d’aménagement n’avaient pas été réalisés par le preneur, qui n’existait pas encore, mais par le bailleur, maître de l’ouvrage et propriétaire des murs.
Après la réception des travaux, l’exploitant, dont la société avait été depuis lors formée, avait engagé une procédure à l’encontre des constructeurs du fait de l’apparition de désordres sur le fondement de la garantie décennale.
Sur ce, la Cour de cassation considère que les marchés de travaux n’ayant pas été conclus par le preneur, « ni repris par lui », il ne peut être considéré comme ayant la qualité de maître de l’ouvrage et ne peut dès lors agir sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Force est donc de constater, compte tenu de la clause figurant au bail, que si les travaux avaient été réalisés par le preneur, il en aurait été tout différemment, dès lors qu’il était contractuellement prévu que les travaux d’aménagement n’accéderaient au bailleur qu’à la fin du bail.
Il en résulte qu’avant la fin du bail, en cas de clause d’accession différée, c’est bien le preneur qui doit être considéré comme ayant la qualité de propriétaire des ouvrages, de sorte que lui seul a qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
La discussion ne porte donc pas sur le fait de savoir si le preneur, au titre d’un bail commercial, ne bénéficie que d’un simple droit de jouissance, mais sur le fait de savoir qui a contracté les travaux, lui conférant alors la qualité de maître de l’ouvrage, et s’il en est toujours propriétaire à la date du recours, compte tenu de l’existence éventuelle d’une clause d’accession.
- En troisième lieu, dans un arrêt en date du 13 avril 2023 destiné à la publication, la Cour de cassation a fait application du même principe pour rejeter une action introduite à l’encontre d’un assureur dommages ouvrage par un nu-propriétaire au titre de désordres affectant des ouvrages réalisés par un usufruitier.
Au soutien de son action, le nu-propriétaire entendait se fonder sur les dispositions de l’article 552 du code civil, dont il résulte que la propriété du sol emporte la propriété du dessus.
Pour autant, la Cour de cassation a rappelé les principes édictés par l’article 555 du Code civil, dont il résulte pour l’essentiel qu’en cas de construction réalisée par un tiers (en l’espèce un usufruitier), le propriétaire du fonds peut en conserver la propriété moyennant indemnisation ou obliger le tiers à les enlever sans indemnité.
Sur ce, l’arrêt précise que le droit d’accession du propriétaire n’est effectif qu’à la fin de l’usufruit, sauf convention contraire.
Il en résulte que jusqu’au terme de l’usufruit, le nu-propriétaire n’est pas propriétaire des ouvrages et n’a donc pas qualité à agir, la Cour de cassation prenant soin d’insister sur le fait que l’action en garantie décennale est attachée par la loi à la propriété de l’ouvrage.
Dès lors, le bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage est le propriétaire de l’immeuble à la date de la déclaration de sinistre régularisée auprès de l’assureur (Cass, 3ème civ, 2 février 2005, n° 03-19. 318), soit l’usufruitier jusqu’au terme de l’usufruit à défaut de convention contraire.