Travaux supplémentaires, sujétions imprévues, retards de livraison, non conformités ou mal façons, difficultés, retards ou refus de paiements, … La vie d’un chantier n’est pas toujours un long fleuve tranquille et les occasions de crispations sont nombreuses pour le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et/ou les constructeurs.
Ces difficultés donnent souvent lieu à une première phase de discussions amiables menée plus ou moins aisément selon le degré de dépendance économique ou de partenariat commercial existant entre les parties et l’urgence qu’il pourra y avoir à voir les travaux se poursuivre.
Lorsqu’aucun accord n’a pu être obtenu, la saisine du juge qui marque l’introduction d’une procédure longue et coûteuse reste la seule solution que les intéressés envisagent, alors même qu’elle ne pourra qu’exacerber des tensions déjà prégnantes sur le chantier.
Une solution pourrait pourtant consister, avant d’en venir à la saisine du juge, à faire intervenir un tiers médiateur, neutre, formé pour aider les parties à rechercher une solution qui leur convient, dans un secteur économique qu’il connaît et dont il saisit les différentes problématiques, préalablement à toute procédure contentieuse.
Les clauses de médiation préalable se multiplient dans les contrats-types du secteur de la construction
La valse à trois temps du conflit (Désaccord / Discussions amiables / Contentieux) pourrait ainsi devenir une valse à quatre temps, « beaucoup plus troublant[e] mais beaucoup plus charmant[e] qu’une valse à trois temps »1 en y intégrant le temps de la médiation, selon des conditions contractuellement définies et dans un laps de temps limité.
Le pouvoir réglementaire et les instances professionnelles ont parfaitement compris l’intérêt de cette nouvelle étape pour éviter des contentieux économiquement destructeurs et la quasi-totalité des contrats du secteur de la construction stipulent désormais une clause de médiation préalable destinée à favoriser la résolution contractuelle et amiable des litiges avant toute saisine du juge.
La clause de médiation ou de conciliation préalable est ainsi prévue depuis 2017 pour les contrats de droit privé, au sein de la norme NFP 03.001 en son article 21 ; ainsi qu’à l’article 16 des nouvelles conditions générales du contrat de sous-traitance proposé par la FNTP dans son édition 20182, précisées par les stipulations de l’article 15 des conditions particulières.
Elle est stipulée également au sein des dispositions des articles 50 et 50.5 du CCAG Travaux issu de l’arrêté du 8 septembre 2009 éclairées par les nouvelles dispositions de l’article L.2197-1 du Code de la commande publique de 2019 pour les marchés publics3.
Elle est encore comprise dans les contrats-types de maîtrise d’œuvre mis à disposition par l’ordre des architectes.
Enfin, les syndicats professionnels proposent à leurs adhérents de satisfaire à l’obligation issue du droit de la consommation de proposer à leurs clients non professionnels une procédure de médiation préalable et gratuite grâce à la mise en place de partenariats dédiés. A l’instar de l’accord conclu avec la FFB, de nombreuses chambres de la CAPEB ont conclu un accord avec la Chambre nationale des huissiers de justice et la plate-forme Médicys dans les litiges de bâtiment, étant précisé que d’autres partenariats ont également été mis en place4.
Lorsqu’elle n’est pas déjà expressément prévue par les documents contractuels, la clause de médiation préalable pourra être ainsi rédigée : « Si un différend venait à se produire entre les parties au présent contrat en ce qui concerne son interprétation, son exécution ou son extinction, les parties s’engagent dès à présent (à peine d’irrecevabilité) à saisir un médiateur désigné par les parties préalablement à toute instance judiciaire. La médiation sera mise en œuvre par le médiateur choisi par les parties dans le respect des règles déontologiques applicables. En cas d’échec de la médiation, le différend sera tranché par (nom du tribunal compétent) saisi à la requête de la partie la plus diligente. »
La clause de médiation préalable obligatoire ne s’étend pas aux litiges relevant de la responsabilité décennale des constructeurs.
La 3ème chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler les limites du domaine d’application d’une clause de médiation préalable stipulée dans un contrat d’architecte dans un récent arrêt en date du 23 mai 2019, n° 18-15286 rendu en matière de responsabilité civile décennale.
Le principe de présomption de responsabilité qui bénéficie au maître d’ouvrage en application des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil est un principe d’ordre public. Il ouvre un droit à réparation en dehors de toute procédure judiciaire sous réserve de la démonstration de l’imputabilité du désordre au constructeur et de l’existence d’un désordre de nature décennale.
La 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé en conséquence dans un arrêt publié au Bulletin en date du 23 mai 2019, que la Cour d’appel qui déclare irrecevable une action judiciaire en l’absence de mise en œuvre d’une procédure contractuelle de conciliation préalable avant la saisine de la juridiction du premier degré, sans rechercher, au besoin d’office, si l’action exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, n’était pas fondée sur l’article 1792 du code civil, prive sa décision de base légale et doit par conséquent être censurée.
Formulé autrement, l’action en responsabilité introduite par le maître d’ouvrage sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil rend inapplicable la fin de non-recevoir issue d’une clause de médiation préalable.
La Cour de cassation confirme une solution précédemment énoncée dans un arrêt en date du 9 octobre 2007 n° 06-16404 5 et qui trouve sa justification dans la nécessité de protéger le maître d’ouvrage en présence de désordres portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, compte tenu de l’existence d’un régime d’assurance obligatoire.
La Cour précise néanmoins de façon nouvelle qu’il revient au juge de soulever d’office ce principe si les parties n’en ont pas fait état.
La 3ème chambre civile rappelle ainsi que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité décennale des constructeurs doivent rester inchangées en présence d’une clause de médiation préalable. Ni les parties au contrat, ni le juge ne sauraient y déroger en proposant une médiation ou une conciliation. Le dispositif de réparation prévu par la loi doit nécessairement trouver à s’appliquer.
La médiation conserve une place privilégiée pour tous les litiges qui relèvent de la responsabilité contractuelle.
Lorsque le litige apparaît en cours d’exécution d’un marché des travaux, l’intervention d’un tiers chargé d’une mission qui comporte l’identification des besoins des parties et la recherche avec elles de solutions répondant à leur(s) problématique(s) propre(s) présente un intérêt particulier lorsqu’elle est enserrée dans un délai relativement court, intégralement maîtrisé par les parties.
Tel sera le cas en cas de désaccord sur le respect du planning, en cas de difficulté dans l’exécution des prestations ou lorsque des modifications sont rendues nécessaires par des sujétions non prévues à la date de la signature du contrat.
Le médiateur contribue en outre à réinstaurer la communication entre les parties, favorisant la construction et la mise en œuvre future d’une solution pérenne et consensuelle. Les entrepreneurs impliqués dans la définition des termes d’un accord et rendus responsables de la résolution de leurs différends reprennent la main sur les dossiers conflictuels, à l’instar des projets qu’ils mènent quotidiennement et veillent à ce que de nouvelles dissensions ne surviennent dans la poursuite des travaux.
L’exécution des marchés s’avère alors plus souple, plus consensuelle, les parties n’hésitant pas à faire réintervenir le médiateur lorsque de nouvelles difficultés surviennent sur le terrain.
La médiation pourra encore trouver sa place postérieurement à la réception des travaux, lorsque les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle des entrepreneurs, le secret et la confidentialité qui couvrent le processus de médiation permettant dans ce cas aux constructeurs de maintenir la discrétion sur les interventions qu’ils auraient dû entreprendre en reprise, le cas échéant.
La médiation peut enfin constituer une solution intéressante au terme de l’exécution du marché, lorsque des difficultés surviennent lors du paiement des prestations, compte tenu par exemple d’un désaccord sur la qualité attendue des ouvrages et/ou le non-respect du planning d’exécution initialement défini. Là encore les entrepreneurs qui attendent d’être payés trouveront un intérêt à ce que le maître d’ouvrage soit correctement informé des difficultés qu’ils ont pu rencontrer sur le chantier et à être payés dans un délai relativement bref, sans publicité autour de leurs difficultés.
Les conséquences d’une clause de médiation obligatoire ne doivent en aucun cas être négligées
L’inscription d’une clause de médiation préalable obligatoire, si elle est souhaitable pour éviter le recours systématique au juge et favoriser les démarches visant à la recherche d’une solution en présence de difficultés, ne doit pas être prise à la légère, compte tenu des conséquences qui en découlent.
L’omission du processus de médiation préalable contractuellement prévu comme une étape obligatoire avant tout recours au juge sera ainsi sanctionnée par l’irrecevabilité de la procédure judiciaire sans possibilité de régularisation en cours d’instance (Cass. Ch.mixte, 12 décembre 2013, n° 13-19684 ; Cass. 3ème civ. 6 octobre 2016, n° 15-17989 ).
Les parties devront par conséquent veiller à s’assurer non seulement de la saisine du médiateur mais également et surtout de la mise à disposition d’un certificat attestant que les démarches amiables obligatoires ont bien été engagées préalablement à la saisine du juge, le cas échéant (à titre d’exemple, la plateforme madecision.com délivre une attestation confirmant qu’une demande de médiation a bien été enregistrée, même si elle n’a pas abouti).
Il n’en serait autrement que dans le cas où la demande vise, sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, la désignation d’un expert judiciaire afin de réunir des preuves et interrompre un délai (Cass. 3ème civ., 28 mars 2007, n° 06-13209).
Enfin, la clause de médiation préalable obligatoire ne peut pas être opposée à un tiers (Cass. 3ème civ., 10 novembre 2016, n° 15-25449, v. également Cass. 3ème civ. ,13 juillet 2017, n° 16-18338). La fin de non-recevoir tirée d’une clause contractuelle n’empêche pas le demandeur d’exercer une action directe sur le fondement des dispositions de l’article L. 124-3 du Code des assurances à l’encontre de l’assureur du contractant.
1. Jacques BREL. La valse à mille temps.
2. Conditions Générales du contrat de sous-traitance de la FNPT – édition 2018. Article 16 : Règlement des contestations. A tout moment les entreprises ont la faculté de régler à l’amiable leurs litiges, notamment par la médiation. Les conditions particulières déterminent si les différends découlant du présent contrat sont soumis à la conciliation, à la médiation, à l’arbitrage ou aux tribunaux compétents.
3. CCAG travaux. Article 50 Règlement des différends et des litigesLe représentant du pouvoir adjudicateur et le titulaire s’efforceront de régler à l’amiable tout différend éventuel relatif à l’interprétation des stipulations du marché ou à l’exécution des prestations objet du marché.Article 50.5. Recours à la conciliation ou à l’arbitrage :
Les parties peuvent, d’un commun accord, avoir recours à la conciliation selon les modalités qu’elles déterminent. Code de la commande publique de 2019. Article L.2197-.Les parties à un contrat administratif peuvent recourir à un tiers conciliateur ou médiateur, dans les conditions fixées par les chapitres Ier et II du titre II du livre IV du code des relations entre le public et l’administration.
4. S’agissant des CAPEB de la région des Pays de la Loire : http://capebpdl.mediateurconsommation.fr/mediation-de-la-consommation-2/
5. « Vu les articles 1134 et 1792 du code civil ;Attendu que pour déclarer irrecevable l’action engagée par Mme Z… contre M. X…, architecte, sur le fondement de l’article 1792 du code civil, l’arrêt retient que la clause, signée par les parties stipulant qu’en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, les parties conviennent de saisir le conseil régional de l’ordre des architectes pour avis, doit s’appliquer dès lors que la demande porte bien sur une faute commise dans et pendant l’exécution du contrat ;Qu’en statuant ainsi, alors que la clause de saisine de l’ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur l’exécution du contrat, ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du code civil et n’avait donc pas vocation à s’appliquer dés lors que la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du même code, la cour d’appel a violé les textes susvisés »