Commentaires sur : Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 3 avril 2024, SCI VICTOR HUGO, n°472476, Publié au recueil Lebon
Le diable (ou le Bon Dieu – c’est selon le point de vue) se cache dans les détails !
Un contrat de vente immobilière ou un contrat de bail, même conclu par une acheteur public soumis au code de la commande publique (CCP), sont en principe exemptés d’en respecter les dispositions, notamment celles relatives aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Pour autant, il réside un risque à limiter l’examen de la soumission du contrat au code de la commande de la publique à l’unique objet principal de ce dernier.
Dès lors que certaines stipulations d’un contrat répondent aux critères de définition d’un marché public c’est l’ensemble du contrat qui mute en contrat de la commande publique.
Le législateur définit le marché public comme : « un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent » (Art. L1111-1 du code de la commande publique).
Une interprétation extensive de la formule « pour répondre à leurs besoins » pourrait conduire à faire basculer tous les contrats onéreux conclus par un acheteur public dans le filet du contrat de la commande publique.
En effet, toute personne qui conclut un contrat le fait nécessairement pour satisfaire un intérêt donc pour répondre à un besoin.
La jurisprudence est venue là encore poser les critères permettant d’aguiller la qualification ; et l’arrêt du Conseil d’Etat du 03 avril 2024 « SCI VICTOR HUGO » s’y emploie s’agissant d’un contrat de vente immobilière en l’état futur d’achèvement et de bail en l’état futur d’achèvement.
Il s’agissant d’un établissement hospitalier qui avait conclu avec une SCI un bail en l’état futur d’achèvement, qui prévoyait la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat après la douzième année.
En premier lieu, le Conseil d’Etat indique que la qualification d’un contrat en marché public résulte non seulement de l’article L1111-1 du CCP précité, mais également des articles L1111-2, L.1111-3, et L.1111-4 qui définissent respectivement le marché public de travaux, de fourniture, et de prestation.
Est ainsi un marché public de travaux, le contrat qui répond au critère de la satisfaction du besoin précédemment évoqué et qui a pour objet :
- « Soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste figure [au CCP] ;
- Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception. Un ouvrage est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique. »
Si un contrat portant sur un ouvrage a vocation bien souvent à répondre aux besoins de l’acheteur public (1er critère) et donc aux exigences qu’il fixe (2e critère), l’acheteur public n’exerce pas nécessairement une influence déterminante sur la nature et/ou la conception de l’ouvrage (3e critère).
La bascule s’opère donc la plupart du temps sur ce dernier critère, sur lequel le Conseil d’Etat est venu apporter l’éclairage suivant :
« Tel est le cas lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. »
On comprend aisément la soumission du contrat VEFA litigieux aux dispositions du CCP, mais comment pourrait-il en être de même s’agissant du bail alors que le preneur n’a, a priori, pas son mot à dire s’agissant de la structure architecturale.
Certes, mais un preneur à bail est susceptible d’avoir des exigences sur les aménagements intérieurs de l’ouvrage.
Pourtant, la simple identification dans le contrat d’exigences portant sur les aménagements intérieurs n’est pas suffisante. Il est attendu que ces exigences soient suffisamment spécifiques et importantes pour que l’influence déterminante de l’acheteur public soit caractérisée.
Le Conseil d’Etat indique que : « Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur. »
C’est donc bien l’affectation au service public hospitalier et donc les spécificités des aménagements qui en découlent qui ont fait basculer le contrat de bail en contrat de la commande publique.
Les besoins d’aménagement étaient en réalité assimilables à un cahier de clauses techniques particulières (CCTP) élaboré pour répondre au programme fonctionnel de l’établissement hospitalier.
La Cour de justice de l’Union Européenne de préciser que ces demandes en matière d’aménagement constituent un véritable CCTP de marché de travaux si elles excèdent ce qu’un locataire de ce type d’immeuble exige habituellement, ce qui ne sera pas le cas par exemple d’un bâtiment « conçu comme un immeuble de bureaux classiques, sans que soient visés des groupes déterminés de locataires ni des besoins spécifiques » (CJUE 22 avril 2021, Commission c/ Autriche, Aff. C-537/19, pt. 80)
Finalement le contrat était certes avant tout un bail locatif, mais également un marché public de travaux ; qualifications qui ne sont donc pas incompatibles mais potentiellement cumulatives.
En d’autres termes, l’influence de l’acheteur public doit s’apprécier principalement au regard de l’ouvrage lui-même, sa nature et sa conception, mais également, et c’est moins évident, au regard des demandes spécifiques d’aménagements intérieurs qui peuvent émaner du preneur ou de l’acquéreur.