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Garantie décennale et atteinte à la destination contractuellement convenue

« Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. »

L’atteinte à la destination d’un ouvrage, qui constitue donc un des deux critères d’appréciation de la gravité du dommage au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil, est habituellement appréciée objectivement.

Elle doit s’analyser par rapport à l’ensemble de l’ouvrage et non par rapport à l’un de ses éléments constitutifs.

Il en résulte une appréciation nécessairement factuelle et une jurisprudence extrêmement casuistique, puisqu’il s’agit d’apprécier tout à la fois la notion de destination et l’importance de l’atteinte qui lui est portée par la survenue d’un désordre.

A cet égard, la jurisprudence a déjà indiqué que l’atteinte à la destination pouvait s’entendre de l’atteinte portée à la destination implicitement attendue de l’ouvrage eu égard à sa nature.

C’est ainsi que dans un arrêt en date du 12 mai 2021 (Cass, 3ème civ, 12 mai 2021, n°19-24.786), la Cour de cassation a rappelé que les désordres affectant les éléments essentiels des salles de bains et les toilettes d’une résidence hôtelière de standing étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, alors même que les désordres n’impliquaient pas objectivement la nécessité de fermer l’établissement. 

«  la cour d’appel a retenu que les fêlures ou casses des carreaux sur les murs des salles de bains, le décollement en cueillies de plafonds et la fissuration verticale au droit des plaques murales compromettaient l’esthétique et l’habitabilité de l’immeuble, qu’ils le rendaient impropre à sa destination dès lors qu’ils affectaient des éléments essentiels des salles de bains et des WC, à savoir les carrelages, ainsi que les murs porteurs, rendant inhabitables des chambres d’une résidence hôtelière de haut standing, et qu’ils étaient donc de nature décennale au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil ».

Il est en effet constant que si des désordres, même à caractère esthétique, affectent un ouvrage d’un certain standing, ils sont toujours susceptibles d’être pris en charge au titre de la garantie décennale des constructeurs (Cass, 3ème civ, 11 mars 2008, n°07-10651 ; Cass, 3ème civ, 10 octobre 2012, n°10-28309).

A l’inverse, si la preuve n’en est pas rapportée, le bénéfice de la garantie doit être écarté (Cass, 3ème civ, 14 janvier 2014, n°11-25.074) : 

« Attendu qu’ayant retenu que les désordres esthétiques sont constitutifs d’une impropriété à destination lorsqu’ils affectent un immeuble de grand standing, et que rien ne venait démontrer que l’ensemble d’immeubles de la copropriété relevait du grand standing, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre le syndicat des copropriétaires dans le détail de son argumentation, a pu déduire de ces seuls motifs, sans se contredire, que les désordres consistant en des traces de coulures n’étaient pas de ceux visés par l’article 1792 du code civil ; »

A cet égard, l’arrêt qui a été rendu le 16 janvier 2025 (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2025, n°23-17.265), et qui fait l’objet d’une publication au bulletin, est intéressant en ce qu’il rappelle que la notion d’impropriété de l’ouvrage à sa destination, au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil, doit s’apprécier par référence à la destination découlant de son affectation, telle qu’elle résulte non pas seulement de la nature des lieux, mais également parfois de la convention des parties.

En l’espèce, un maître d’ouvrage professionnel avait confié à un constructeur la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque sur la toiture d’un bâtiment destiné au stockage de céréales.

Ayant constaté l’existence de condensations en sous-face de la couverture, le maître de l’ouvrage avait assigné le constructeur et son assureur RC décennale, afin de solliciter l’indemnisation de ses différents chefs de préjudices.

Par un arrêt en date du 28 février 2023, la Cour d’appel de Reims ayant débouté le maître de l’ouvrage de ses demandes fondées sur les dispositions de l’article 1792 du code civil, du fait de l’absence d’atteinte effective à la destination de l’ouvrage, un pourvoi avait été inscrit.

L’arrêt d’appel est cassé par l’arrêt en date du 16 janvier 2025, en ces termes :

« Il est jugé que l’impropriété de l’ouvrage à sa destination s’apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation, telle qu’elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties (3e Civ., 10 octobre 2022, pourvois n°10-28.309 ; 10-28.310, publié, 3e Civ., 4 avril 2013, pourvoi n°11-25.198, publié ; 3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n°14-15.107, publié).

Pour écarter le caractère décennal des désordres de condensation et rejeter la demande d’indemnisation, l’arrêt retient que, si les phénomènes d’infiltration dus à un défaut d’étanchéité causé par le mauvais placement de la parclose rendaient la toiture fuyarde et relevaient de la garantie décennale, les phénomènes de condensation dus à l’absence d’écran sous toiture ne rendaient pas l’ouvrage impropre à sa destination. 

En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la condensation affectant la toiture d’un bâtiment affecté au stockage de grains ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Cette décision, qui est parfaitement conforme à la jurisprudence la plus habituelle, confirme donc la nécessité de déterminer la destination en considération de la nature même de l’ouvrage, ou bien encore de l’affectation qui a été contractuellement convenue entre les parties, ce qui peut découler des pièces contractuelles (cahier des charges, programme de travaux), ou bien encore du dossier de permis de construire.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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