Dans un arrêt rendu le 21 mai 2014 (Cass, 3ème civ., 21 mai 2014, n° 13-14.891), la Cour de cassation a très clairement confirmé le principe d’une obligation renforcée à la charge des diagnostiqueurs amiante, en indiquant que :
« Mais attendu, d’une part qu’ayant exactement retenu que le contrôle auquel devait procéder le diagnostiqueur n’était pas purement visuel, mais qu’il lui appartenait d’effectuer les vérifications n’impliquant pas de travaux destructifs (…) la cour d’appel a pu en déduire que cette société avait commis une faute dans l’accomplissement de sa mission. »
Cette analyse est conforme à ce qui était habituellement retenu par la jurisprudence, en ce sens que manque à ses obligations le diagnostiqueur qui se limite à effectuer un repérage sur les matériaux et produits accessibles, sans sondages sonores suffisants à lui faire suspecter la présence d’amiante (Cass, 3ème civ, 17 septembre 2009, n° 08-17.130).
La seule limite posée par la jurisprudence, en conformité d’ailleurs avec la réglementation applicable, tient au fait qu’il ne peut-être imposé au diagnostiqueur de n’avoir pas procédé à des sondages destructifs (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2011, n° 10-18.882).
De la même façon, le diagnostiqueur n’engage sa responsabilité que dans la limite de la mission qui lui a été confiée.
Ceci étant rappelé, la Cour de cassation a encore rappelé la rigueur du principe de responsabilité qui découle de l’erreur de diagnostique dans un arrêt du 8 juillet 2015 (Cass, 3ème civ, 8 juillet 2015, n° 13-26.686) :
« Mais attendu qu’il résulte de l’article L 271-4 du Code de la construction et de l’habitation que le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou à l’acte authentique de vente d’un immeuble garantit l’acquéreur contre le risque mentionné au 3° du deuxième alinéa du I de ce texte et que la responsabilité du diagnostiqueur se trouve engagée lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l’art, et qu’il se révèle erroné. »
Il n’en reste pas moins que le caractère indemnisable du préjudice découlant de l’erreur de diagnostique a été discuté et ne procède pas nécessairement d’une évidence absolue.
Alors qu’il était soutenu par les diagnostiqueurs qu’une éventuelle erreur de diagnostic ne peut ouvrir droit à indemnisation, notamment en raison de l’absence de preuve d’un danger sanitaire pour les occupants et de l’obligation réglementaire de procéder au retrait des matériaux amiantés, la jurisprudence a confirmé le principe d’indemnisation qui découle nécessairement de la seule présence d’amiante dans l’immeuble.
C’est ainsi que dans l’arrêt rendu le 21 mai 2014 (Cass, 3ème civ, 21 mai 2014, n° 13-14.891), la Cour de cassation a retenu que :
« Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu, par motifs adoptés, que du fait de la présence d’amiante dans les murs et le plafond de la pièce principale de l’immeuble, il n’est pas possible de procéder à des travaux sans prendre des mesures particulières très contraignantes et onéreuses, tant pour un simple bricolage que pour des travaux de grande envergure, et qu’il fallait veiller à l’état de conservation de l’immeuble, afin d’éviter tout risque de dispersion de l’amiante dans l’air, la cour d’appel, qui a caractérisé la certitude du préjudice résultant de la présence d’amiante, a pu en déduire que le préjudice de Madame Y correspondait aux travaux de désamiantage. »
Cette décision est très intéressante car elle n’allait pas nécessairement de soit, dès lors que le diagnostiqueur n’est bien évidemment pas responsable de la présence de l’amiante dans l’immeuble.
Ainsi donc, en présence d’amiante non détectée à tort par le diagnostiqueur, l’acquéreur est en droit de solliciter la prise en charge du coût des travaux de désamiantage.
Seul l’acquéreur de l’immeuble ou d’un lot de copropriété est à priori en mesure de justifier d’un préjudice indemnisable, pour ne pas avoir été informé de la présence d’amiante et donc pour avoir à supporter une charge liée aux travaux de désamiantage qui n’avait pas été envisagée lors de l’acquisition.
Il s’agit d’un préjudice personnel à l’acquéreur, qu’il lui appartient d’exercer personnellement, même si les travaux doivent être réalisés, dans le cadre d’une copropriété, sous la maîtrise d’ouvrage du Syndicat des copropriétaires, au titre des parties communes.
La situation apparaît différente pour le Syndicat des copropriétaires qui ne semble pas justifier d’un préjudice propre, dès lors que la présence de l’amiante préexistait à l’intervention du diagnostiqueur défaillant.
Le préjudice indemnisable ne se rattache pas en effet à la présence d’amiante dans l’immeuble, mais aux conséquences financières qui en découlent du fait de la nécessité de prendre en charge tout ou partie des travaux de désamiantage.
A cet égard, la Cour de cassation a persisté dans sa perception élargie du préjudice indemnisable en cas d’erreur de diagnostic, dans le cadre des mesurages Carrez prévus à l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965.
Très longtemps, la jurisprudence a en effet considéré qu’en cas d’erreur de mesurage, le diagnostiqueur ne pouvait pas être tenu de garantir la restitution d’une partie du prix à laquelle est tenue le vendeur à l’égard de l’acquéreur (Cass, 3ème civ, 4 janvier 2006, n° 04-15.922 ; Cass, 3ème civ, 25 octobre 2006, n° 05-17.427 ; Cass, 3ème civ, 7 octobre 2009, n° 08-12.920 ; Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-23.272).
Tout en maintenant ce principe, la Cour de cassation a très clairement reconsidéré sa position, quitte à s’inscrire dans une analyse assez paradoxale.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 28 janvier 2015 (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2015, n° 13-27.397), la Cour de cassation a une fois de plus rappelé que :
« Si la restitution à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie … »
Mais ce principe étant rappelé, elle a immédiatement ajouté que :
« Le vendeur peut se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre. »
En recourant à la notion de perte de chance, la Cour de cassation parvient ainsi, sans remettre en cause le principe de refus de toute garantie au titre de la restitution du prix découlant de la moindre mesure, à justifier l’indemnisation du vendeur condamné à l’égard de l’acquéreur, par le biais d’une gymnastique intellectuelle assez acrobatique.
Il s’agit très clairement d’un revirement de jurisprudence dont on peut se féliciter sur le plan de l’équité, mais qui pour autant n’est pas sans poser quelques interrogations sur le plan de la cohérence juridique.
On peine en effet à comprendre comment il peut-être justifié de l’existence d’une perte de chance de « vendre son bien au même prix pour une surface moindre », tout en confirmant le principe selon lequel, en cas d’erreur de mesurage, si dès l’origine la surface avait été exacte, le prix aurait été diminué en conséquence, raison pour laquelle il ne saurait y avoir garantie au titre de la restitution d’une partie du prix du fait de la moindre mesure …
Comprendra qui pourra.
Toujours est-il que la Cour de cassation est ainsi revenue, par son arrêt en date du 28 janvier 2015, sur sa jurisprudence qui, pas soucis de cohérence du raisonnement, impliquait le rejet des demandes d’indemnisation fondées sur la notion de perte de chance, plutôt que sur la garantie de la restitution d’une partie du prix (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-23.272).
Si la position qui est désormais adoptée par la Cour de cassation met enfin un terme à une certaine forme d’impunité du diagnostiqueur défaillant, tout en replaçant le vendeur dans une situation d’équité, il n’en demeure pas moins que c’est manifestement au prix d’une incohérence dont on ne saurait se satisfaire.
Bien entendu, cette analyse a vocation à s’étendre aux diagnostics amiante, alors qu’initialement la Cour de cassation avait considéré qu’en présence du recours de l’acquéreur à l’égard du vendeur, du fait de la présence d’amiante dans l’immeuble, seul celui-ci devait en répondre sur le fondement de la garantie des vices cachés en l’absence de lien de causalité entre la faute du diagnostiqueur et la présence d’amiante.
Il reste en dernier lieu que, depuis déjà fort longtemps, la Cour de cassation a très clairement posé le principe selon lequel l’indemnisation du préjudice découlant de la perte de chance ne peut-être que partielle (Cass, 1ère civ, 9 avril 2002, n° 00-13.314).
Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2014 (Cass, 1ère civ, 11 septembre 2014, n° 13-10.414), la Cour de cassation rappelait encore que : « La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. »
D’ailleurs, dans un arrêt rendu le 20 mars 2013 (Cass, 3ème civ, 20 mars 2013, n° 12-14.711), la Cour de cassation n’avait pas manqué de préciser que le préjudice indemnisable de l’acquéreur devait être limité à la perte de chance d’avoir évité de prendre en charge tout ou partie des frais de désamiantage.
Mais voilà que la Cour de cassation semble avoir voulu reconsidérer la valeur de ce principe dans l’arrêt rendu le 8 juillet 2015, qui plus est en chambre mixte, avec une force et une portée qui méritent très certainement une attention toute particulière (Cass, Chambre mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686) :
« Ayant relevé que les investigations insuffisantes de la société HDI n’avaient pas permis que les acquéreurs soient informés de l’état véritable des infestations parasitaires de l’immeuble et retenu que ceux-ci avaient été contraints de réaliser des travaux pour y remédier, la cour d’appel a déduit exactement de ces seuls motifs que les préjudices matériels et de jouissance subis par M. et Mme X du fait de ce diagnostic erroné avaient un caractère certain et que la société MMA, assureur de la société HDI, leur devait sa garantie. »
Au soutien de son pourvoi en cassation, la société MMA avait notamment soutenu que les conséquences d’un manquement à un devoir d’information et de conseil ne pouvaient s’analyser qu’en une perte de chance, dès lors que la décision qu’aurait prise le créancier de l’obligation d’information et les avances qu’il aurait pu obtenir, s’il avait été mieux informé, n’étaient pas établi de manière certaine.
De la sorte, il était anormal que l’assureur soit condamné à payer l’intégralité des travauxde remise en état des dommages occasionnés par l’attaque des termites, alors qu’il n’était pas établi, qu’ayant été parfaitement informés de leur présence et du coût des travaux réparatoires, ils auraient pu obtenir du vendeur une diminution du prix équivalente au coût des travaux réparatoires.
Très clairement, la Cour de cassation, avec une portée dénuée de toute équivoque, entend porter un coût certain au principe selon lequel, en matière de perte de chance, l’indemnisation du préjudice ne peut-être que partielle.
Depuis lors, la Cour de cassation a rendu deux autres arrêts qui viennent confirmer cette évolution jurisprudentielle importante.
Dans un arrêt rendu le 29 septembre 2015 (Cass, 3ème civ, 29 septembre 2015, n° 12-26712 – 12-27887), il est ainsi expressément retenu que :
« Attendu que pour débouter les époux A de leurs demandes en paiement dirigées contre la société COVEA RISKS ASSURANCES, l’arrêt retient que l’expert en diagnostic a commis une faute qui a causé un préjudice aux acquéreurs qui ont perdu la chance de pouvoir découvrir la réalité du vice, de manière à renoncer à l’acquisition ou de négocier un prix moindre ou d’exiger des travaux préalables à la vente, mais que ce préjudice ne se confond pas avec celui résultant des travaux, ni avec celui résultant de la gêne causée ni avec le préjudice moral, et que les époux A n’ont pas fait de demande d’indemnisation à ce titre. »
« Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a refusé d’évaluer le préjudice dont elle avait constaté l’existence en son principe, a violé le texte susvisé. »
En tout dernier lieu, dans un arrêt rendu le 15 octobre 2015 (Cass, 3ème civ, 15 octobre 2015, n° 14-18077), la Cour de cassation réitère sa position, qui doit donc être désormais considérée comme ayant valeur de principe :
« Attendu que, pour condamner la société CDIG à payer à M. et Mme X la somme de 538,20 euros à titre de dommages intérêts et rejeter leurs demandes complémentaires, l’arrêt retient que le manquement de la société SDIG a eu pour conséquence une perte de chance de ne pas acquérir qui constitue le seul préjudice direct subi par M. et Mme X, outre les frais de diagnostic complémentaire. »
« Qu’en statuant ainsi, alors que le coût des réparations nécessités par la présence de termites non signalés par la société CDIG dans l’attestation destinée à informer les acquéreurs sur la présence des parasites constituait un préjudice certain, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
En considération de ces différents éléments, il peut donc être désormais considéré qu’il ne saurait être opposé aux acquéreurs de lots, dans le cadre d’une action en responsabilité à l’encontre du diagnostiqueur défaillant, que leur préjudice ne serait pas certain et qu’en tout état de cause il devrait être limité à la perte de chance d’éviter de prendre en charge les frais de désamiantage, ou bien encore d’obtenir une remise de prix correspondante lors de l’acquisition du bien.
La seule présence d’amiante non détectée à tort caractérise pour l’acquéreur la certitude de son préjudice (1), correspondant aux travaux de désamiantage (2), dont l’indemnisation doit être intégrale (3), puisque ne pouvant être limitée par la notion de perte de chance.
A cet égard, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juillet 2015, ne manque pas de rappeler que le préjudice indemnisable ne se limite pas seulement au préjudice matériel, mais également au préjudice immatériel, ce qui s’entend nécessairement du trouble découlant de la privation de jouissance du bien le temps nécessaire à la réalisation des travaux de désamiantage.
La question qui se pose aujourd’hui est donc celle de savoir si la position adoptée désormais par la Cour de cassation, dans le cadre de la mise en cause des diagnostiqueurs défaillants, a vocation à être généralisée aux différentes actions en responsabilité professionnelle, ce qui consacrerait alors la mise à mort de la notion de perte de chance.
Rien n’est moins certain compte tenu de la spécificité de la profession de diagnostiqueur, dont la mission est tout précisément d’informer le client sur l’existence ou non d’une infestation parasitaire ou de la présence d’amiante, ce qui implique une obligation nécessairement renforcée, tant sur le principe de la responsabilité en elle-même, que sur celui de l’indemnisation des préjudices qui en découlent.
Il est d’ailleurs permis de se demander si, en toute logique, la Cour de cassation ne devrait pas adopter une position identique à l’égard du métreur intervenant en loi Carrez, pour considérer que le fait, pour le vendeur, de n’avoir pas été en mesure « de vendre son bien au même prix pour une surface moindre » ne constitue pas seulement une perte de chance, tel que retenu dans l’arrêt rendu le 28 janvier 2015 (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2015, n° 13-27.397), mais un préjudice certain, qui doit dès lors recevoir une indemnisable intégrale.