Compte tenu de l’épidémie actuelle liée au virus du Covid-19, et en application des dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (article 3), l’état d’urgence sanitaire a été décrété pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 24 mai 2020, sauf prorogation.
Dans le cadre de cette situation d’urgence sanitaire, le gouvernement a pris des mesures exceptionnelles d’adaptation des règles législatives et réglementaires normalement en vigueur, notamment avec l’ordonnance n° 2020-306 en date du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Un confinement sévère a été ordonné aux français qui doivent donc demeurer dans leur lieu de résidence principale.
Près de 40% des ménages métropolitains sont d’ailleurs locataires (au 1er janvier 2018 – source INSEE).
Certaines mesures ont donc été prises au profit des locataires mais elles restent très limitées.
En effet, force est de constater que les contrats de locations des locaux à usage d’habitation restent pleinement et strictement applicables.
La protection des bailleurs : l’exécution contractuelle normale des baux d’habitation :
Dans le cadre de l’état d’urgence et du confinement, et dans les contrats de baux d’habitation, les loyers et les charges restent exigibles et sans report de droit.
Les loyers et les charges doivent donc être normalement réglés par le(s) preneur(s) et selon les modalités et termes contenus dans le contrat de location.
En effet, les parties cocontractantes restent pleinement tenues à exécuter leurs obligations contractuelles.
Les termes généraux de l’ordonnance n° 2020-306 en date du 25 mars 2020 prévoient néanmoins une certaine souplesse relative aux délais.
Pour autant, en l’état, et en l’absence de dispositions particulières prises concernant les baux d’habitation, il semble préférable de respecter les formalités et les délais des congés prévus à l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, ce qui permet de conserver l’esprit d’équilibre de la loi entre les droits du bailleur et la protection du locataire.
Les congés délivrés par les locataires durant cette période seraient donc réguliers et courent pour les délais normaux de préavis.
Les durées de préavis prévues par l’article 15 la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 restent applicables, soit trois mois en principe et un mois par exception et sous réserve de justifier des conditions strictes d’éligibilité.
A ce titre, il convient de préciser que le Covid-19 n’est pas un motif de réduction du délai de préavis.
De même, les termes des délais de préavis arrivés à échéance durant la période de confinement semblent donc échus.
A ce titre, si un locataire quitte les lieux, s’agissant de l’état des lieux et des règles liées au confinement, l’intervention d’un huissier de justice peut s’avérer utile pour éviter des déplacements sur place aux bailleurs et aux preneurs.
En tout état de cause, les déménagements pratiqués par des professionnels sont très limités puisque seuls les déménagements qui ne peuvent être reportés et ceux qui doivent se tenir pour des situations exceptionnelles peuvent encore se tenir, selon les prescriptions du Ministre chargé de la Ville et du Logement et du Secrétaire d’Etat chargé des transports (courrier du 1er avril 2020).
En pratique, les déménagements sont difficiles voire impossible à exécuter et à organiser et doivent en principe être reportés, relativement aux règles du confinement.
Si un préavis arrive donc à échéance, un preneur peut donc rester dans les lieux, si le déménagement s’avère impossible.
Deux solutions semblent alors possibles.
Soit un avenant au bail est conclu pour encadrer contractuellement et prolonger les effets du contrat de bail pour la période postérieure au préavis et contraignant le locataire à demeurer dans les lieux.
Soit, à défaut d’accord entre les parties, le preneur sera alors en principe redevable d’une indemnité d’occupation, correspondant en principe au montant du loyer et des charges dûs au titre du bail arrivé à échéance.
En définitive, si des preneurs font face à des difficultés financières exceptionnelles et liées à la situation singulière du confinement et de la pandémie actuelle, il leur est conseillé de prendre attache dans les meilleurs délais avec leur bailleur pour trouver, de concert, une solution amiable et de ne pas laisser la situation s’envenimer et s’aggraver.
La protection des preneurs : des délais prolongés pour les clauses résolutoires et les procédures d’expulsions :
Pour autant, le législateur a tout de même prévu un dispositif de protection des preneurs, principalement pour les clauses résolutoires contenues dans les contrats de bail (article 24 de la loi du 06 juillet 1989) et pour les procédures d’expulsions en cours ou à venir.
S’agissant des commandements de payer visant une clause résolutoire, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, il est défini une période de protection dans un délai courant entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, le 24 mai 2020, soit le 24 juin 2020 (article 1er de l’ordonnance).
L’ordonnance précitée prévoit ainsi que les « clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er » (article 4 de l’ordonnance).
Le second alinéa de l’ordonnance complète que les « clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme ».
Cela protège donc les preneurs d’un défaut de paiement et d’une difficulté de règlement puisque les termes des commandements de payer survenant durant la période définie sont réputés n’avoir pas produit effet.
Lors d’un défaut de paiement des loyers et des charges, et lorsque le contrat de bail contient une clause résolutoire, un commandement de payer visant cette clause doit être signifié par huissier et donne un délai de deux mois au locataire pour régulariser sa situation.
Aussi, si la déchéance du terme du délai de deux mois suivant un commandement de payer visant la clause résolutoire intervient entre le 12 mars et le 24 juin 2020, alors ce terme est réputé n’avoir pas pris effet et ne produira effet que le 24 juillet 2020.
Toutefois, les commandements de payer visant la clause résolutoire peuvent être délivrés durant la période de protection.
La question qui se pose est pour les commandements de payer délivrés avant le 12 mars 2020 et dont le délai de deux mois est arrivé à échéance durant la période de protection.
Selon l’application stricte de l’article 4 de l’ordonnance précitée, il semble que l’acquisition de la clause résolutoire n’intervienne donc que le 24 juillet 2020, date à laquelle la clause produira donc son effet.
Par exemple, si un commandement de payer a été délivré le 1er février 2020. Alors que le terme du délai aurait dû intervenir le 1er avril 2020, les effets de la clause résolutoire ne se produiront que le 24 juillet 2020.
Les termes de l’ordonnance semblent donc affecter l’ensemble des commandements de payer délivrés depuis le 12 janvier 2020.
Durant cette période et de façon plus générale, toute procédure judiciaire semble complexe à engager en l’état.
Les activités des juridictions et des études d’huissier sont, en l’état, circonscrites aux activités les plus essentielles et urgentes, compte tenu des règles liées au confinement. Ainsi, pour les procédures de résiliation de baux, les greffes ne sont pas en mesure d’attribuer des dates d’audiences pour les affaires nouvelles devant le Juge des contentieux de la protection et les huissiers limitent leurs activités aux significations d’actes urgents pour limiter les contacts. En l’absence de dates d’audience délivrées, il est fort probable que les assignations en résiliation de bail d’habitation ne relèvent pas des activités essentielles et urgentes actuellement.
De façon globale, les activités judiciaires sont quelque peu paralysées durant la période de confinement.
L’ensemble de ces éléments, s’agissant de la paralysie des clauses résolutoires et de l’impossibilité d’engager ou de poursuivre une procédure judiciaire, est protectrice des preneurs, en cas de défauts de paiements des loyers et des charges.
En effet, compte tenu des délais normaux de procédure, il semble désormais difficile pour un bailleur d’obtenir, avant la prochaine trêve hivernale, un titre d’expulsion (un jugement) puis de l’exécuter, et ce pour l’ensemble des commandements de payer visant la clause résolutoire signifiés depuis le début de l’année voire pour ceux délivrés en fin d’année 2019.
S’agissant des expulsions et des fournitures d’énergies, des délais ont été prolongés de deux mois, par l’ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale.
Rappelons en effet que les dispositions de l’article L115-3 du Code de l’action sociale et des familles consacre l’interdiction pour un fournisseur d’électricité, de chaleur, de gaz de procéder, dans une résidence principale, à l’interruption pour non-paiement des factures de fournitures, du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante.
En vertu de l’ordonnance précitée, le délai est également prolongé jusqu’au 31 mai 2020 (article 1 de l’ordonnance).
En parallèle, la trêve hivernale, prévue par les dispositions de l’article L412-6 du Code des procédures civiles d’exécution, a été prolongée jusqu’au 31 mai 2020, au lieu du 31 mars en principe en vigueur.
Rappelons que l’article précité prévoit effectivement qu’il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er novembre et jusqu’au 31 mars.
Cette suspension des expulsions est donc prolongée jusqu’au 31 mai, sauf si le relogement des intéressés est assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille (alinéa premier de l’article L412-6 du Code des procédures civiles d’exécution). Cet article prévoit également que le sursis ne s’applique pas pour les introductions sans droits ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait.
A moins donc que le relogement des intéressés soit assuré, les expulsions ne sont pas possibles avant le 31 mai.
Or, la prochaine trêve hivernale redémarre le 1er novembre prochain, ce qui ne laisse que cinq mois pour les bailleurs en possession d’un titre exécutoire pour mettre en œuvre une expulsion, ce qui semble complexe si l’occupant résiste et entend se maintenir dans les lieux.
Ainsi, si des mesures ponctuelles de protection ressortent des textes pris en urgence pour cette période particulière d’état d’urgence sanitaire et de confinement, les preneurs restent largement tenus à leurs obligations légales et contractuelles.
En revanche, s’agissant des procédures de résiliation de bail par acquisition de clause résolutoire et d’exécution forcée par expulsion, il semble désormais acquis que les délais se trouvent en pratique rallongés du fait de la situation sanitaire exceptionnelle.
Cela va fortement aggraver la situation des bailleurs qui font face aux locataires défaillants.