La société FALICONNIERE a entrepris la construction d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sous la maîtrise d’œuvre d’un groupement.
Un différend étant survenu entre le maître de l’ouvrage et un des membres du groupement de maîtrise d’œuvre, un expert technique a été sollicité en application de la clause figurant dans le contrat de maîtrise d’œuvre, ainsi libellée :
« Article 23 : contestations et litiges
En cas de litige portant sur l’exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir le tribunal compétent devant la juridiction de Nantes. Toutefois, les parties s’engagent à solliciter les avis d’un expert choisi d’un commun accord, avant toute action judiciaire. »
Toutefois, sans attendre l’avis de l’expert choisi par les parties, le maître d’œuvre a fait assigner au fond le maître de l’ouvrage en paiement de ses honoraires.
Le maître de l’ouvrage a alors soulevé l’irrecevabilité de la demande en paiement pour défaut de mise en œuvre de la tentative préalable de règlement amiable prévue au contrat d’architecte.
L’architecte a répondu que si le contrat prévoyait effectivement un préalable obligatoire de conciliation, rien ne lui interdisait d’introduire une action judiciaire avant que le processus de conciliation soit mené à son terme, dès lors qu’il avait été initié, ce qui suffisait.
Sur ce, il était prétendu qu’en déclarant l’action irrecevable, la Cour d’appel avait dénaturé la clause du contrat.
Par son arrêt en date du 6 juin 2024 (Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-24.784), la Haute juridiction vient encore une fois rappeler toute l’importance qu’elle attache au respect effectif des clauses de conciliation préalable, dans un contexte un peu plus original qu’à l’habitude.
En premier lieu, de façon tout à fait classique, la Cour de cassation prend soin de rappeler que le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constitue une fin de non-recevoir.
En second lieu, elle confirme la stricte analyse des juges d’appel, selon laquelle les termes « sollicités l’avis d’un expert » doivent être interprétés comme la volonté des parties d’obtenir son avis avant toute procédure judiciaire, sauf à ce que la clause n’ait aucune portée en s’en tenant à ses termes littéraux…
Un parallèle peut être tout naturellement effectué avec l’obligation qui est faite, au maître de l’ouvrage qui entend mobiliser la garantie dommages ouvrage en cas de sinistre, de régulariser préalablement, à peine d’irrecevabilité, une déclaration de sinistre qu’il s’agisse de désordres nouveaux ou de l’aggravation de désordres anciens (Cass, 3ème civ, 14 mars 2012, n°11-10.961).
Il incombe alors au maître de l’ouvrage non pas seulement de régulariser une déclaration de sinistre, mais encore de justifier de la purge effective de la procédure d’instruction amiable prévue cette fois-ci par le législateur.
Est ainsi irrecevable, la saisine du juge des référés pour solliciter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, si l’assignation a été délivrée avant l’expiration du délai de 60 jours prévu à l’article L 242-1 du code des assurances (Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n°22-19.463).
On rappellera à toute fin que la Haute juridiction veille de façon identique au respect des clauses de règlement amiable qui figurent dans les conventions entre assureurs, qui doivent être également purgées avant toute saisine judiciaire, ce qui a encore été rappelé, en dernier lieu, au sujet de la convention CORAL (Cass, 3ème civ, 25 janvier 2024, n°22-22.681).
Puisque le message porté haut et fort, en toutes circonstances, est celui de la déjudiciarisation, alors veillons à déjudiciariser, avec toute la prudence nécessaire, tout en laissant en l’espèce l’architecte habituellement arroseur, s’arroser lui-même avec le produit de son propre arrosoir.