Cass, 3ème civ, 14 mars 2024, n° 22-15.205, Formation de section, Publié au bulletin
Aux termes de l’article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voirie publique aucune issue, ou une issue insuffisante, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage pour assurer la desserte de sa propriété, à charge de verser une indemnité qui soit proportionnée au dommage qui peut en résulter pour le fonds servant.
Ainsi donc, lorsqu’un terrain ne dispose pas d’un accès suffisant à la voirie publique, il est toujours possible au propriétaire du fonds enclavé de revendiquer le bénéfice d’une servitude de passage (Cass, 3ème civ, 12 novembre 2020, n° 19-18.269).
Lorsque l’accès à la voirie publique ne procède pas de l’exercice d’une servitude de passage, mais d’une simple tolérance de passage, il était permis de s’interroger sur l’existence d’une situation d’enclave compte tenu de son caractère précaire.
Il sera en effet rappelé qu’une simple tolérance, qui n’est qu’un droit personnel insusceptible de se transmettre avec le bien, ne peut constituer un droit acquis (Cour d’appel de Montpellier, 1ère chambre a, 17 octobre 2019, n° 15-04576), de sorte que sa suppression, sous réserve qu’elle ne soit pas brutale, ne peut jamais être qualifiée d’abus de droit (Cour d’appel de Bastia, chambre civile, section 2, 19 décembre 2018, n° 16-00818).
Et c’est bien la raison pour laquelle l’usage d’une tolérance de passage ne peut conduire à l’acquisition de l’assiette et de l’exercice du passage sur le fondement des dispositions de l’article 685 alinéa 2 du code civil.
Dans un arrêt en date du 17 septembre 2020 (Cass, 3ème civ, 17 septembre 2020, n° 19-17.729), la Cour de cassation a très clairement rappelé qu’il ne pouvait y avoir d’enclave lorsqu’un accès privé était utilisé par simple tolérance pour accéder à la voirie publique :
« Il résulte de l’article 682 du code civil que le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage permettant un libre accès à la voie publique pour les besoins de son exploitation n’est pas enclavé tant que cette tolérance est maintenue. »
Il s’agit là de l’application d’une jurisprudence très ancienne, puisque déjà, dans un arrêt en date du 3 juillet 1961 (Cass, 1ère civ, 3 juillet 1961, Publié au bulletin), la Cour de cassation avait indiqué que : « La tolérance de passage sur le fonds d’un tiers … excluait l’enclave. »
La Cour de cassation avait encore rappelé sa jurisprudence dans un arrêt du 28 juin 2018 (Cass, 3ème civ, 28 juin 2018, n° 16-27.702 ; 17-14.102), selon laquelle un fonds ne peut pas être considéré comme enclavé s’il bénéficie d’une tolérance de passage permettant un libre accès à la voirie publique pour les besoins de son exploitation :
« Qu’en statuant ainsi, sans constater que les consorts A… et Y… bénéficiaient, de la part des consorts H…, d’une tolérance de passage pour emprunter la petite portion de terrain appartenant à ceux-ci et permettant de rejoindre le chemin rural, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Attendu qu’est enclavé le fonds qui ne bénéficie pas d’une tolérance de passage lui permettant un libre accès à la voie publique pour les besoins de son exploitation. »
Il restait à s’interroger lorsque le bénéficiaire de la tolérance de passage n’est pas le propriétaire du fonds qui revendique une situation d’enclave, mais l’exploitant qui occupe le fonds pour les nécessités de son activité professionnelle, ce qui est toujours possible dès lors que la tolérance est un droit personnel.
Dans son arrêt en date du 14 mars 2024, rendu en formation de section (Cass, 3ème civ, 14 mars 2024, n° 22-15.205, Publié au bulletin), la Cour de cassation confirme l’application du principe, avec une rédaction classique, que la tolérance bénéficie au propriétaire ou à l’exploitant du fonds, ce qui est considéré comme étant indifférent :
« Le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage permettant un accès suffisant à la voie publique pour les besoins de son exploitation n’est pas enclavé, tant que cette tolérance est maintenue, peu important qu’elle ne soit pas personnellement accordée au propriétaire mais à celui qui exploite le fonds. »
En définitive, dans la notion d’enclave économique, le critère essentiel c’est que le fonds puisse bénéficier d’un accès suffisant à la voirie publique pour être exploité dans des conditions normales (critère d’utilité du passage), quelque soit la nature juridique du passage concédé (servitude de passage ou simple tolérance).