La Cour de cassation vient une nouvelle fois de rappeler, qu’en droit de la construction, il n’existe pas de responsabilité sans désordre, sauf prescriptions techniques obligatoires ou dispositions contractuelles particulières.
Cass, 3ème civ, 21 novembre 2024, n°23-15.363
Dès lors, le seul constat du non-respect d’une norme constructive postérieurement à la réception des ouvrages ne peut suffire à caractériser un préjudice indemnisable au profit du maître de l’ouvrage.
Il en va différemment avant le prononcé de la réception des travaux, dès lors que, sous réserve de l’application du principe de proportionnalité entre la solution réparatoire et le dommage subit, le constructeur est redevable d’une obligation contractuelle de résultat qui lui impose de réaliser un ouvrage qui soit exempt de désordre, de malfaçon ou de non-conformité.
Le principe, maintes fois rappelé par la jurisprudence, n’est toutefois pas absolu, puisqu’il cède lorsque le respect d’une norme a été contractualisé avec le constructeur, ou lorsqu’il s’impose de par la loi (Cass, 3ème civ, 10 juin 2021, n°20-15.277 ; 20-15.349 ; 20-17.033, Publié au bulletin).
Dans un arrêt rendu le 27 février 2001 (Cass, 3ème civ, 27 février 2001, n°99-18.114), la Cour de cassation a ainsi précisé que le non-respect des normes techniques imposées par les DTU, qui ont vocation à harmoniser les techniques de construction au niveau européen et qui sont édictées par les professionnels du bâtiment sans pour autant revêtir de valeur réglementaire, ne peut être sanctionné en l’absence de désordre constructif si elles n’ont pas été contractualisées.
Cette jurisprudence est importante, dans la mesure où bon nombre d’experts judiciaires croient devoir motiver leurs rapports d’expertise en décrivant des non-conformités normatives au regard des prescriptions des DTU, pour les qualifier de non-conformités constructives, sans pour autant prendre la peine de vérifier leur caractère contractuel, alors même qu’il n’est pas constaté de désordres.
Il est bien souvent difficile (trop souvent en réalité) pour l’homme de l’art de concevoir qu’un ouvrage expertisé puisse être considéré comme étant juridiquement acceptable s’il est affecté de non-conformités constructives.
Le principe est identique s’agissant des prescriptions imposées par la norme Afnor NFP 03-001, devant être ajouté qu’outre le fait qu’elle doit être contractualisée pour être opposable, ses dispositions ne peuvent s’appliquer que de façon supplétive, c’est-à-dire en complément et à défaut de mentions contraires au contrat (Cass, 3ème civ, 21 mars 2019, n°17-31.540 ; Cass, 3ème civ, 4 mars 2021, n°19-16.952).
La jurisprudence a étendu son analyse de façon plus générale au non-respect « des règles de l’art », qui correspondent, en dehors de toute définition légale précise, à l’état de la technique connue au moment de la réalisation de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 5 janvier 2022, n°12-29.349 ; Cass, 3ème civ, 5 janvier 2022, n°20-18.707).
– Cass, 3ème civ, 5 janvier 2022, n°20-18.707 :
« 1. En premier lieu, la cour d’appel a souverainement retenu, répondant en les écartant aux conclusions des maîtres de l’ouvrage, que, si l’expert avait noté que la méthode de coulage du béton des fondations n’avait pas été conforme aux règles de l’art, aucun désordre n’avait été relevé quant à l’intégrité des puits de fondations et que le béton se révélait homogène, compact, régulier et résistant aux contraintes de compression.
12. Elle en a exactement déduit qu’en l’absence de désordre, les maîtres de l’ouvrage n’étaient pas fondés à opposer l’exception d’inexécution au constructeur pour refuser de régler le coût des travaux réalisés. »
L’arrêt qui a été rendu le 21 novembre 2024 est donc parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure (Cass, 3ème civ, 10 juin 2021, n°20-15.277 ; 20-15.349 ; 20-17.033, Publié au bulletin), s’agissant de travaux d’étanchéité ne respectant pas les prescriptions du DTU 52.2, le cahier du CSTB et la fiche technique du produit utilisé, sans pour autant qu’il en résulte un désordre :
« En se déterminant ainsi, sans rechercher, en l’absence de désordre affectant la salle de bains du premier étage si le DTU 52.2, le cahier CSTB et la fiche technique du produit appliqué avaient été contractualisées par les parties, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Il reste que la Haute juridiction considère toujours que, nonobstant l’absence de contractualisation de la norme, la responsabilité à tout le moins contractuelle du constructeur peut être recherchée même en l’absence de désordre, dès lors que son respect est rendu obligatoire par la loi, ce qui implique qu’il n’y a pas alors lieu de constater sa contractualisation.
À cet égard, Il convient de se référer à l’article 17 du décret n°2009-697 du 16 juin 2009, relatif à la normalisation, qui dispose que si les normes sont d’application volontaire, elles peuvent toutefois être rendues d’application obligatoire.
Les normes rendues obligatoires, dont la liste peut être consultée sur le site internet de l’association française de normalisation, ne concernent pas seulement la sécurité des biens et des personnes, mais également les prescriptions édictées en matière d’ERP et d’exigences de performances énergétiques et environnementales des constructions, notamment.
A toute fin, il sera rappelé que les simples défauts de conformité n’entrent donc pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de la garantie décennale des constructeurs visée à l’article 1792 du code civil (Cass, 3ème civ, 20 novembre 1991, n°89-14.867, Publié au bulletin).
A contrario, même en l’absence de désordre actuel établi, la garantie décennale des constructeurs a vocation à être mobilisée en présence de prescriptions techniques obligatoires qui n’auraient pas été respectées, en cas de risque d’atteinte future à la sécurité des biens et des personnes.
Il en va ainsi s’agissant des non-conformités électriques (Cass, 3ème civ, 21 septembre 2022, n°21-20.433 : « En lui-même le risque avéré d’incendie de la couverture d’un bâtiment le rend impropre à sa destination. ») et des non-conformités sismiques, même en l’absence de désordre constaté (Cass, 3ème civ, 11 mai 2011, n°10-11.713 : « Le dommage consistant dans la non-conformité de l’ouvrage aux règles parasismiques obligatoires dans la région où se trouve la maison, facteur certain de risque de perte par séisme, compromet sa solidité et la rend impropre à sa destination »)
Plus récemment, la jurisprudence s’est également prononcée en ce sens s’agissant d’un risque sanitaire du fait d’une possible contagion par légionellose (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2023, n°22-13.858, Publié au bulletin).