Cass, 3ème civ, 30 janvier 2025, n°23-13.325
Se plaignant de désordres affectant les parties communes et un appartement d’une copropriété, le Syndicat des copropriétaires et un copropriétaire concerné par les désordres ont sollicité une expertise judiciaire puis fait délivrer une assignation au fond au promoteur, en sa qualité de maître de l’ouvrage, et aux autres constructeurs et leurs assureurs, afin de solliciter l’indemnisation de leurs différents chefs de préjudices.
Par un arrêt en date du 10 mars 2022, la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion a condamné le promoteur, l’entreprise en charge du lot peinture et son assureur au paiement de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel, arrêté au mois d’avril 2017, outre une somme de 767,00 euros par mois jusqu’à la réalisation des travaux réparatoires, permettant de rendre le logement sinistré de nouveau salubre et louable.
L’assureur dommages ouvrage a alors été également condamné à indemniser M. et Mme D de leurs pertes locatives jusqu’à la réalisation des travaux de réparation, les travaux préconisés par l’expert mandaté par l’assureur dommages ouvrage n’ayant pas permis de remédier efficacement aux remontées humides ayant rendu insalubre leur appartement, alors que l’assureur était contractuellement tenu de préfinancer des travaux de reprise efficaces et pérennes, de nature à mettre fin aux désordres.
L’arrêt d’appel est cassé par l’arrêt de la Cour de cassation en date du 30 janvier 2025, s’agissant des condamnations prononcées à l’encontre des constructeurs :
« En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. R, qui soutenait que, ne disposant d’aucun pouvoir pour engager les travaux réparatoires, le préjudice locatif subi par M. et Mme D. jusqu’à ce que leur appartement soit remis en état était sans lien de causalité avec sa faute, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. »
Il en va de même s’agissant de la condamnation prononcée à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage :
« En se déterminant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre la perte locative subie par les copropriétaires jusqu’à la réalisation effective des travaux de reprise des désordres matériels affectant les parties communes à raison desquels le Syndicat des copropriétaires, seul à pouvoir les entreprendre, a obtenu une indemnisation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Bien qu’il s’agisse, à l’égard des constructeurs et de l’assureur, d’une cassation prononcée pour un défaut de réponse aux conclusions, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il n’existe aucun doute sur la portée du principe énoncé, à savoir que le préjudice immatériel indemnisable est celui qui se rattache par un lien de causalité suffisant avec le fait générateur de la responsabilité du constructeur.
La condamnation qui avait été prononcée en cause d’appel à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage est d’ailleurs cassée sur le fondement des dispositions des articles 1147, 1165 et 1382 du code civil.
L’arrêt du 30 janvier 2025 est parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui déjà, par un arrêt en date du 7 novembre 2024 (Cass, 3ème civ, 7 novembre 2024, n°22-14.088), avait refusé d’indemniser le préjudice de jouissance des maîtres de l’ouvrage pour la période postérieure à la date à laquelle les travaux auraient pu être réalisés avec les indemnités perçues au titre de l’exécution provisoire.
Cette analyse procède du fait qu’il n’existe plus alors de lien de causalité direct entre le fait dommageable initial et le préjudice allégé.
Le fait est que si, en application des dispositions de l’article L 111-10 du code des procédures civiles d’exécution, l’exécution forcée, qui est toujours facultative quant à son usage, est poursuivie au risque du créancier, Il reste que le non-usage des fonds perçus à ce titre est de nature à constituer la rupture du lien de causalité entre le préjudice allégué et le fait générateur de responsabilité.
Il n’en reste pas moins que le maître de l’ouvrage est toujours en droit de se faire indemniser de son préjudice locatif découlant d’éventuels aléas de chantier, lors de la mise en œuvre des travaux réparatoires, mais alors à la condition qu’il soit suffisamment déterminé et quantifié dans le cadre de la réclamation indemnitaire.
C’est ce qui a été tout précisément indiqué par la Haute juridiction dans un arrêt en date du 9 juin 2020 (Cass, 3ème civ, 9 juillet 2020, n°19-18.954), une cour d’appel ne pouvant priver la victime de toute réparation du préjudice résultant de la perte de loyers pendant la durée des travaux de reprise sans constater que les locaux auraient été habitables et disponibles avant l’achèvement des travaux.
Dans cette affaire, la cour d’appel avait indemnisé le maître de l’ouvrage au titre de son préjudice locatif mais jusqu’à la date de paiement de l’indemnité due au titre des travaux de reprise, en relevant que les constructeurs n’avaient pas à supporter les aléas du chantier de réfection.
L’arrêt d’appel fut donc cassé au visa du principe selon lequel la réparation du préjudice doit intervenir sans qu’il n’en résulte ni perte, ni profit pour la victime.
Il reste que l’indemnisation du maître de l’ouvrage ne pourra pas alors être sollicitée au titre d’un préjudice locatif ou de jouissance jusqu’à la date effective d’achèvement du chantier, mais jusqu’à une date qu’il lui incombera de déterminer au moins approximativement, à charge pour le juge d’en apprécier le caractère raisonnable compte tenu de la nature du chantier et de l’importance des travaux à réaliser.
En toute circonstance en effet, la réparation du préjudice immatériel du maître de l’ouvrage implique la preuve de l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct avec la faute commise par l’auteur du dommage.