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Indemnité d’immobilisation, promesse de vente et délai de prescription

Le 8 septembre 2015, une promesse unilatérale de vente a été conclue sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt au plus tard le 7 novembre 2015.

Il a alors été contractuellement convenu du règlement immédiat d’une somme de 99.500,00 euros, non pas à titre d’acompte sur le prix de vente, mais au titre de l’indemnité d’immobilisation, correspondant à 10% du prix de vente, qui a été séquestrée entre les mains du notaire.

N’ayant pas obtenu son prêt pour des raisons qui ne lui étaient pas imputables, le bénéficiaire de la promesse a sollicité auprès des vendeurs la restitution du séquestre par des courriers en date des 12 juillet 2017 et 6 janvier 2020.

En définitive, par un courrier en date du 27 janvier 2020, les vendeurs ont indiqué qu’ils refusaient de restituer le séquestre.

Le bénéficiaire de la promesse a alors attendu le 16 novembre 2020 pour faire délivrer une assignation au fond.

Les vendeurs ont soutenu la prescription dans le cadre de conclusions d’incident, le juge de la mise en état ayant en effet compétence pour statuer sur la fin de non-recevoir.

Par une ordonnance en date du 17 décembre 2021, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable la demande en restitution de la somme versée lors de la signature de la promesse unilatérale de vente, pour cause de prescription, dès lors que le point de départ du délai de 5 ans de l’article 2224 du code civil devait être fixé au jour du terme du délai de réalisation de la condition suspensive de prêt, soit le 8 novembre 2015, de sorte que l’assignation au fond avait été délivrée 6 jours après l’expiration du délai de prescription.

L’ordonnance du juge de la mise en état a été confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 30 septembre 2022 (Cour d’appel de Paris, Pôle 4, Chambre 1, 30 septembre 2022, n°22-00936).

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel par un arrêt en date du 11 juillet 2024, qui est destiné à la publication (Cass, 3ème civ, 11 juillet 2024, n°22-22.058, Publié au bulletin) en retenant qu’il résulte des dispositions de l’article 2224 du code civil que le point de départ de la prescription de l’action en exécution d’une obligation se situe au jour où le créancier a, ou aurait dû savoir, qu’elle était devenue exigible et non à la date à laquelle il a eu connaissance du refus du débiteur de l’exécuter.

S’agissant tout précisément de l’exigibilité de l’obligation, la Cour de cassation se réfère aux dispositions de l’article L 312-16 alinéa 2 du code de la consommation, devenu article L 313-41, dont il résulte que lorsque la condition suspensive d’obtention du prêt n’est pas réalisée, toute somme versée à l’avance par l’acquéreur à l’autre partie, ou pour le compte de cette dernière, est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit.

Et la Haute juridiction de conclure que : « Elle en a exactement déduit (…) que la demande, formée plus de 5 ans après la date à laquelle l’indemnité était devenue immédiatement remboursable du fait de la défaillance de la condition suspensive, était irrecevable comme prescrite. »

Cette décision inédite en matière de promesse de vente, n’est pas pour autant révolutionnaire et mérite quelques observations.

1. LA CONNAISSANCE DU DROIT A AGIR PROCEDE DE LA DATE D’EXIGIBILITE DE LA CREANCE DE REMBOURSEMENT :

L’article 2224 du code civil retient comme point de départ de la prescription de 5 ans le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits permettant de l’exercer.

A cet égard, il n’est pas nouveau que la jurisprudence considère que le point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil soit constitué par la date d’exigibilité de la créance.

Dans un arrêt d’Assemblée plénière en date du 6 juin 2003 (Cass, 3ème civ, 6 juin 2003, n°01-12.453, Publié au bulletin), la Cour de cassation a énoncé un principe qui n’a eu de cesse d’être confirmé ultérieurement (Cass, 3ème civ, 14 juin 2006, n°05-14.181 ; Cass, com, 8 décembre 2021, n°20-10.407 ; Cass, 1ère civ, 20 octobre 2021, n°20-13.661 ; Cass, 3ème civ, 2 mars 2022, n°20-23.602Cass, 3ème civ, 1er mars 2023, n°21-23.176), selon lequel : « Le point de départ du délai à l’expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance. »

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 6 janvier 2021 (Cass, 1ère civ, 6 janvier 2021, n°19-22-675), la Cour de cassation a retenu comme point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil de l’action en paiement, non pas la date de la reddition des comptes, mais la date d’expiration du délai qui avait été contractuellement fixé dans le mandat, puisqu’à cette date les mandants étaient informés des faits leur permettant d’agir.

Encore, dans un arrêt en date du 20 octobre 2021 (Cass, 1ère civ, 20 octobre 2021, n°20-13.661), la Cour de cassation a retenu comme point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil de l’action en paiement en matière de crédit, la date à laquelle a été prononcée la déchéance du terme, sanction figurant également dans l’acte de prêt.

Sur ce, il n’est guère surprenant que, statuant sur une demande de restitution d’un séquestre, la Haute juridiction retienne comme point de départ la date d’exigibilité de la créance de restitution, ce d’autant plus qu’il était en l’espèce expressément indiqué, dans la promesse unilatérale de vente, que l’indemnité d’immobilisation versée au jour de la signature de la promesse l’était sous le bénéfice d’un séquestre, qu’elle serait reversée au bénéficiaire de la promesse en cas de défaillance de la condition suspensive avec l’accord du promettant et qu’à défaut d’accord, la partie la plus diligente pourrait saisir la justice, afin qu’il soit statué sur le sort de l’indemnité.

De façon peut-être plus discutable, la jurisprudence a été amenée à considérer que, s’agissant de l’action en paiement de travaux, le point de départ du délai de prescription n’est pas la date d’établissement de la facture, qui en règle générale prévoit sa date d’exigibilité, mais la date de réalisation effective des travaux (Cass, 1ère civ, 19 mai 2021, n°20-12.520, Cass, 3ème civ, 1er mars 2023, n°21-23.176), avec pour exception le cas où le défaut de paiement résulte d’un défaut de levée des réserves, la date d’exigibilité de la créance procédant alors de la date de levée des réserves (article R 231-7 du CCH en CCMI) ou de l’expiration du délai d’épreuve de la garantie de parfaite achèvement, prévue par l’article 1792-6 du code civil (Cass, 3ème civ, 13 février 2020, n°18-26.194).

En toute logique, dans le cas d’une vente en l’état futur d’achèvement, la date d’exigibilité du solde du prix correspond à la date de la remise des clefs (Cass, 3ème civ, 17 février 2016, n°14-29.612), sauf bien entendu dispositions contractuelles contraires.

Tel que pend soin de le préciser la Haute juridiction, il est tout à fait exact que les modalités contractuelles de restitution du séquestre sont de toute évidence indifférentes, dès lors qu’elles n’ont aucune incidence sur la notion d’exigibilité de la créance de remboursement.

La position qui a été adoptée par la Cour de cassation, dans son arrêt en date du 11 juillet 2024, est donc parfaitement conforme à l’esprit de sa jurisprudence.

2. LA DATE D’EXIGIBILITE DE LA CREANCE COMME POINT DE DEPART OBJECTIF DU DELAI DE PRESCRIPTION :

Il reste que la Cour de cassation demeure très attachée à retenir comme point de départ du délai de prescription une date d’exigibilité qui soit objectivement déterminable par les parties et qui ne soit donc pas la source d’une insécurité juridique.

Tel que l’a indiqué la première avocate générale près la Cour de cassation dans son avis rendu au sujet de cette affaire, il est nécessaire que « Le point de départ objectif de prescription peut être déterminé de façon objective. »

Et c’est bien ce qui a été fait en l’espèce, la Cour de cassation se rattachant aux dispositions d’ordre public de l’article L 312-16 alinéa 2 du code de la consommation, devenu article L 313-41, plutôt qu’à la notification formelle par le vendeur de son refus de restituer le séquestre, ou à la notification par le notaire de la caducité de la promesse unilatérale de vente.

A cet égard, dans le cadre de ses différentes décisions, la Cour de cassation a effectivement pris soin de se rattacher à une date objective, généralement d’origine contractuelle, comme point de départ du délai de prescription de l’article 2224 du code civil.

Le raisonnement doit être également tenu à l’identique s’agissant de la créance de remboursement d’un acompte sur le prix de vente qui aura été séquestré lors de la régularisation de la promesse unilatérale de vente, dès lors que la caducité du compromis de vente implique nécessairement la restitution des sommes qui ont été versées par le bénéficiaire en application des dispositions des articles 1186 et 1187 du code civil, et non sur le fondement de l’enrichissement sans cause de l’article 1235 du code civil, compte tenu du caractère subsidiaire de l’action.

Dans tous les cas, le délai de prescription de 5 ans de l’article 2224 du code civil reste applicable (Cour d’appel de Pau, 30 mars 2016, n°16/01360).

Le raisonnement doit être tenu à l’identique s’agissant de l’action en paiement de l’indemnité d’immobilisation, en cas cette fois-ci de défaillance fautive du bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente.

Selon les cas, le point de départ objectif du délai de prescription sera la date d’expiration de la condition suspensive, emportant à cette date la caducité immédiate de la promesse unilatérale de vente, soit la date d’établissement du procès-verbal de carence en cas de refus de l’acquéreur, qui aura levé l’option, de réitérer la vente en la forme authentique, bien que les conditions suspensives soient réalisées.

Dans tous les cas, le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution ou en paiement de l’indemnité d’immobilisation ne peut être fixé à la date du refus exprimé par le débiteur de déférer à la demande de paiement ou de restitution de l’indemnité.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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