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Action en paiement du membre d’un groupement

CASS, 3ème civ, 19 septembre 2024, n°22-21.831, Publié au bulletin

La Cour de cassation, en ligne avec la jurisprudence administrative, considère que, sauf convention contraire, le membre d’un groupement, conjoint ou solidaire, a qualité pour agir seul à l’encontre du maître de l’ouvrage, pour son propre compte en paiement du solde de son marché, et en paiement du solde global du marché en cas de groupement solidaire.

En l’espèce, des maîtres de l’ouvrage ont entrepris la construction d’un centre commercial avec le concours d’un groupement pour le lot n°26 « CVC – DESENFUMAGE », composé de deux entreprises, dont l’une a été désignée en qualité de mandataire du groupement.

L’autre entreprise, dans le cadre d’un marché distinct, s’est vu confier le lot n°61 « DESCENTES EAUX PLUVIALES ».

N’étant pas soldée de ses deux marchés, l’entreprise a fait assigner les maîtres de l’ouvrage devant la juridiction des référés, afin de solliciter le paiement d’une provision à valoir sur le paiement du solde de ses factures, sur le fondement des dispositions de l’article 809 du code de procédure civile.

Par un arrêt en date du 19 janvier 2022, la Cour d’appel de Bastia a rejeté partiellement la demande de condamnation à provision du fait de l’existence de contestations sérieuses, au motif que le juge des référés n’avait pas compétence pour statuer sur la qualité à agir du demandeur à qui il était opposé que son action à titre personnel était irrecevable, dès lors qu’il avait contracté dans le cadre d’un groupement qui seul pouvait agir en paiement (Cour d’appel de Bastia, 19 janvier 2022, Chambre civile, section 2).

Sur ce, les juges d’appel ont retenu que la question de savoir si le groupement des deux sociétés était conjoint ou solidaire, et celle relative à l’étendue des pouvoirs du mandataire, nécessitait une interprétation des conventions conclues entre les parties et des textes légaux applicables, ce qui se heurtait à une contestation sérieuse excédant les pouvoirs du juge des référés.

Également, les juges d’appel ont considéré que, nonobstant l’appellation de groupement conjoint, les co-traitants au sein du groupement s’étaient obligés à l’égard des maîtres de l’ouvrage de façon indivisible et solidaire, ce qui interdisait l’entreprise d’agir seule en paiement, alors qu’il résultait par ailleurs du cahier-type des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés publics que le mandataire du groupement était le représentant unique des entreprises groupées.

L’arrêt est cassé par la Haute juridiction qui, dans son arrêt en date du 19 septembre 2024, destiné à la publication, indique tout d’abord qu’il incombe au juge des référés, saisi d’une demande de provision, de statuer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, qui en soit ne peut constituer un motif de contestation sérieuse :

« il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d’un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse. »

Ensuite, la Haute juridiction indique que la désignation d’un mandataire auprès du maître de l’ouvrage, pour représenter le groupement, qu’il soit conjoint ou solidaire, ne peut avoir pour conséquence de priver les membres du groupement d’agir seul en paiement du coût des travaux réalisés, ce qui était tout précisément l’objet de la saisine du juge des référés.

Et dans le cadre de son arrêt, la Cour de cassation va plus loin, en ajoutant que ce principe trouve à s’appliquer « qu’il s’agisse, dans le cas d’un groupement conjoint, des travaux réalisés par l’entreprise demanderesse à l’action, ou, dans le cas d’un groupement solidaire, du paiement du solde global du marché. »

Ainsi donc, une entreprise membre d’un groupement conjoint ou solidaire, qu’il soit ou non le mandataire, peut agir seul à l’encontre du maître de l’ouvrage, au titre du paiement de ses propres travaux et ce pour son propre compte, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres du groupement.

Du fait de sa condamnation prononcée, le maître de l’ouvrage se trouve alors libéré de sa dette à l’égard des autres membres du groupement à concurrence du mandant des sommes acquittées.

Et en présence d’un groupement solidaire, l’entreprise peut agir seule à l’encontre du maître de l’ouvrage, afin de solliciter le paiement du tout, soit le « solde global du marché » du groupement, sauf convention contraire prend soin de préciser l’arrêt.

Cette décision à priori inédite est parfaitement conforme à la jurisprudence administrative qui, dans un arrêt du Conseil d’Etat en date du 19 mai 2022 (CE, 19 mai 2022, 7ème et 2ème sous-sections réunies, req. 454637) a rappelé le principe de représentation mutuelle des membres d’un groupement, qui avait déjà été posé par un arrêt en date du 31 mai 2010 (CE, 31 mai 2010, 7ème et 2ème sous-sections réunies, req. 323948) et un arrêt en date du 11 mai 2011 (CE, 11 mai 2011, 7ème et 2ème sous-sections réunies, req. 327452) :

« Les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour l’exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées se représenter mutuellement dans toutes les instances relatives aux obligations attachées à l’exécution de ce marché. »

Par son arrêt en date du 19 mai 2022, le Conseil d’Etat avait étendu en dernier lieu la présomption de représentation mutuelle aux situations dans lesquelles la convention ne prévoit pas de répartition des tâches entre les membres du groupement.

Ainsi donc, dès lors qu’aucune répartition des tâches n’a été définie contractuellement par le marché, les entreprises ayant formé un groupement solidaire sont réputées se représenter mutuellement.

C’est tout précisément ce à quoi s’est également attachée la Cour de cassation dans son arrêt en date du 19 septembre 2024, en prenant soin de relever que la répartition détaillée des tâches des deux entreprises n’était pas précisée dans l’acte d’engagement.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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