Des maîtres de l’ouvrage ont entrepris la construction d’une maison d’habitation dans le cadre d’un contrat de construction de maisons individuelles. Ayant constaté l’apparition de deux désordres et d’une non-conformité, ils ont alors régularisé une déclaration de sinistre auprès de leur assureur dommages ouvrage.
A l’issue des opérations d’expertise amiable, le constructeur ayant été placé en liquidation judiciaire, les maîtres de l’ouvrage ont régularisé un protocole d’accord avec le garant de livraison à prix et délai convenus, prévoyant le règlement d’une somme de 390.000,00 euros pour procéder à la démolition et à la reconstruction de leur maison d’habitation.
Etant ainsi subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, le garant de livraison s’est retourné contre l’assureur dommages ouvrage, afin de solliciter le remboursement de l’indemnité versée sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
La Cour d’appel a débouté le garant de livraison de sa demande en paiement, au motif que la nécessité de démolir l’ouvrage ne découlait pas de l’existence d’un désordre de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.
Le garant de livraison a donc inscrit un pourvoi en soutenant pour l’essentiel que la nécessité de démolir et de reconstruire l’ouvrage suffisait en soit à caractériser l’existence d’un dommage de nature décennale au sens des articles 1792 du code civil et L 242-1 du code des assurances.
Le pourvoi a été rejeté au terme d’un arrêt rendu le 6 juin 2024 (Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°23-11.336, publié au Bulletin) qui fait l’objet d’une publication au Bulletin.
Par cette décision, la Cour de cassation donne l’occasion de rappeler quelques principes essentiels en matière de non-conformité.
1. Par principe, les défauts de conformité aux règles de l’art affectant un immeuble après réception n’entrent pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de l’article 1792 du code civil (Cass, 3ème civ, 20 novembre 1991, n°89-14.867).
2. S’agissant des défauts de conformité aux stipulations contractuelles, ils suivent le même régime dès lors qu’ils ne portent pas, « par eux-mêmes », atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage, avec pour précision importante, en ce qui concerne la nécessité technique de recourir à une solution de démolition reconstruction, l’obligation de distinguer selon les trois solutions suivantes :
2.1. Si la non-conformité contractuelle caractérise « en elle-même » une atteinte à la destination ou à la solidité de l’ouvrage, ou même un risque suffisamment avéré, ce qui est le cas de la démolition rendue nécessaire du fait de la non-conformité à la règlementation antisismique, la garantie RC décennale peut-être mobilisée, puisque dans ce cas la non-conformité caractérise un danger pour les occupants (Cass, 3ème civ, 15 décembre 2004, n°03-17.876).
2.2. S’il s’agit de démolir et de reconstruire au motif que la non-conformité contractuelle a pour conséquence de permettre à un tiers (voisin ou administration) de l’exiger (non-conformité à un permis de construire), le désordre est peut-être alors considéré comme étant de nature décennale. L’erreur d’implantation faisant courir le risque de démolition de l’ouvrage a pour conséquence de rendre l’ouvrage impropre à sa destination et de porter atteinte à sa solidité (Cass, 3ème civ, 18 mars 2021, n°19-21.078 ; Cass, 3ème civ, 6 décembre 2018, n°17-28.513).
Il en va ainsi en cas d’erreur d’implantation en infraction avec un règlement de lotissement définissant notamment l’implantation des immeubles par rapport à la voirie (Cass, 3ème civ, 6 mai 2009, 08-14.505).
2.3. Si la démolition et la reconstruction de l’ouvrage ne se justifient qu’en tant que seul moyen d’obtenir une conformité contractuelle (non-respect d’un DTU contractualisé), il ne peut-être alors justifié de l’existence d’un désordre de nature décennale et la garantie n’est pas mobilisable (Cass, 3ème civ, 20 novembre 1991, n°89-14.867 ; Cass, 3ème civ, 15 décembre 2004, n°03-17.876 : erreur d’implantation altimétrique n’impliquant pas de désordre de nature décennale).
Dans son arrêt en date du 6 juin 2024, la Haute juridiction a constaté que la démolition était nécessaire pour mettre l’ouvrage en conformité avec les prescriptions contractuelles et ne découlait pas de l’existence d’un dommage de nature décennale.
Sur ce, l’assureur dommages ouvrage ne pouvait pas être tenu de garantir les travaux de mise en conformité, dont le coût aura été assumé par le garant de livraison.