Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin
L’Ordonnance n°2005.658 du 8 juin 2005 a établi une liste d’ouvrages et d’équipements exclus du régime de l’assurance RC décennale obligatoire.
S’agissant des éléments d’équipement adjoints à une construction existante, l’impropriété à destination de l’ouvrage provoquée par leur dysfonctionnement, ne pouvait pas donner lieu à la mobilisation de la garantie décennale des constructeurs.
Les dommages occasionnés par un élément d’équipement adjoint à un ouvrage existant étaient donc indemnisés par l’assureur RC décennale s’agissant des dommages causés aux travaux réalisés par l’assuré, au titre de la garantie RC décennale obligatoire, et par l’assureur RC s’agissant des dommages causés aux existants par le biais de la garantie dommages aux existants lorsqu’elle avait été souscrite.
Ce dispositif, qui avait été discuté en 2005 avait un sens, puisqu’il était destiné à équilibrer la charge des risques pour les assureurs entre les branches RC et Construction, dans le cadre d’une régulation économique de la sinistralité.
La Cour de cassation a brutalement rompu cet équilibre par un arrêt rendu le 15 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n°16-19.640), en décidant, par un revirement de jurisprudence qui n’était pas attendu, que « les désordres affectant les éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. »
La notion de quasi ouvrage était née sous la plume doctrinale de Cyrille Charbonneau (Cyrille Charbonneau : L’avènement des quasi-ouvrages, RDI 2017, p.409. »
Les assureurs RC décennale ont alors immédiatement opposé que la portée de cette jurisprudence devait être limitée au domaine de la responsabilité des constructeurs, et n’avait donc pas vocation à s’étendre au régime de la garantie RC décennale, dès lors que l’article L 243-1-1-II du code des assurances dispose clairement que les obligations d’assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
Par un arrêt en date du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n°16-18.120), la Cour de cassation a opposé aux assureurs son analyse, pour le coup contra legem, en écartant expressément les dispositions de l’article L 243-1-1 II du code des assurances lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur l’existant rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.
Malgré les critiques de la doctrine et des professionnels du droit et de l’assurance, la Cour de cassation a maintenu sa position, de façon inflexible, durant 7 ans (Jean Roussel : Éléments d’équipement dissociables installés sur existants et assurance, RDI 2017, p 413 ; Pascal Dessuet : Le régime juridique applicable à la responsabilité des constructeurs en cas de travaux sur existant : une révolution en cacherait-elle une autre, RGDA, Juillet 2017, p 426)
Par son arrêt du 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin), la Cour de cassation a enfin restitué son statut légal à l’élément d’équipement simplement adjoint à un ouvrage existant au visa des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil :
« Pour condamner in solidum la société L’UNIVERS DE LA CHEMINEE et la société AXA sur le fondement de la garantie décennale, l’arrêt énonce que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retient que le désordre affectant l’insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l’habitation. »
« En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Et la Cour de cassation de préciser dans son arrêt qu’il convient désormais de juger que :
« Si les éléments d’équipement installés en replacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs. »
La position qui est désormais adoptée par la Cour de cassation est beaucoup plus orthodoxe à l’esprit et à la lettre de la loi, puisque s’agissant des éléments d’équipement adjoints à un ouvrage existant, soit :
- L’élément d’équipement constitue en lui-même un ouvrage et le régime applicable est celui de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage, avec une prise en charge au titre de la garantie d’assurance RC décennale obligatoire.
- L’élément d’équipement ne constitue pas en lui-même un ouvrage et auquel cas les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, avec une possible prise en charge au titre des garanties facultatives TNCO (travaux non constitutifs d’ouvrage) associée à la garantie des dommages immatériels consécutifs, ou bien encore de la garantie RC des dommages aux existants.
Dans ce cas, dès lors que le régime applicable procède de la responsabilité contractuelle de droit commun, le délai d’action ne s’inscrit plus dans le cadre du régime propre aux constructeur, mais relève du délai quinquennal de droit commun visé à l’article 2224 du code civil, soit 5 ans à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’exercer son droit à agir.
On rappellera alors qu’en ce qui concerne les éléments d’équipement d’origine, la situation de s’en trouve pas modifiée, puisque :
- S’ils sont indissociables de l’ouvrage, ils relèvent du régime légal de l’article 1792-2 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination dans son entier.
- S’ils sont dissociables de l’ouvrage, ils relèvent du régime légal de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage dans son ensemble, ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble.
- Enfin, l’élément d’équipement dissociable de l’ouvrage peut toujours relever de la garantie légale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du code civil, dès lors qu’il a vocation à fonctionner (délai d’action de 2 ans à compter de la réception), puisqu’à défaut les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass, 3ème civ, 13 février 2013, n°12-12.016).
Les choses sont donc à priori désormais fixées, ce dont on ne peut que se féliciter pour d’évidentes raisons de sécurité juridique et d’équilibre entre les différents acteurs et branches du monde de l’assurance construction.