Cass, 3ème civ, 14 septembre 2023, n° 22-21.493, Publié au Bulletin
Les consorts X ont confié à un constructeur de maisons individuelles la réalisation d’une maison d’habitation sur la commune de Romillé.
La réception des travaux a été prononcée le 10 septembre 2013, sans réserve en lien avec le litige.
Les travaux de voirie du lotissement, qui ont démarré au début de l’année 2015, ont révélé une erreur d’implantation ayant pour effet de rendre les garages inaccessibles.
Les consorts X ont alors régularisé une déclaration de sinistre auprès de l’assureur RC décennale du constructeur, qui a dénié sa garantie par un courrier du 12 novembre 2015.
Suivant exploit d’huissier en date du 3 mars 2016, les consorts X ont fait assigner le constructeur uniquement devant le tribunal de grande instance de Rennes sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Par un jugement en date du 30 mai 2017, le tribunal a condamné le constructeur à payer aux consorts X les sommes de 34.293,97 euros TTC au titre du préjudice matériel et 9.000,00 euros TTC au titre du préjudice de jouissance, dépens.
Le constructeur ayant été radié du registre du commerce et des sociétés le 10 novembre 2016, les consorts X ont mis en demeure son assureur RC décennale de procéder au paiement du montant des condamnations prononcées par un courrier du 29 juin 2017.
L’assureur ayant refusé de payer, du fait de son refus de garantie initial, les consorts X l’ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Rennes suivant exploit d’huissier en date du 23 novembre 2017.
Par un jugement en date du 19 novembre 2019, le tribunal a déclaré irrecevable la tierce-opposition incidente de l’assureur RC décennale du constructeur et l’a condamné au paiement des indemnités prononcées par le précédent jugement.
L’assureur a interjeté appel de cette décision.
Par un arrêt en date du 13 janvier 2022, la cour d’appel de Rennes a infirmé le jugement entrepris, déclaré recevable la tierce-opposition incidente formée par l’assureur à l’encontre du jugement du 30 mai 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Rennes, réformé le jugement et en conséquence débouté les consorts X de toutes leurs demandes à l’encontre de l’assureur RC décennale du constructeur.
En premier lieu, la cour d’appel de Rennes a considéré qu’un assureur de responsabilité décennale avait intérêt à faire valoir ses moyens de défense quant au caractère apparent du désordre ou à sa gravité, afin d’obtenir la mise hors de cause pure et simple de son assuré et, conséquemment, la sienne.
Le grief justifiant la recevabilité de la tierce opposition procédait alors de l’obligation d’avoir à payer les condamnations prononcées dans l’instance initiale sans qu’il ait été statué sur ses pièces et ses moyens de défense.
En second lieu, au regard des pièces versées aux débats, la cour d’appel devait considérer que le problème de l’accès aux garages était perceptible pendant le chantier, de même que le non-respect des plans, même par un profane, de sorte que le prononcé de la réception des travaux sans réserve avait purgé l’ouvrage de tout recours possible du maître de l’ouvrage.
Les consorts X ont alors inscrit un pourvoi en cassation, en contestant la recevabilité de la tierce opposition, dès qu’il est constant que la fraude au droit du tiers ne peut pas être déduite de la seule absence d’appel en la cause de l’assureur dans l’instance opposant le tiers lésé à l’assuré (Cass, 1ère civ, 2 juillet 1991, n° 89-21.622 ; Cass, 2ème civ, 22 octobre 2020, n° 19-21.854).
L’arrêt qui a été rendu le 14 septembre 2023 (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2023, n° 22-13.858, Publié au Bulletin) est d’un intérêt certain, en ce qu’il participe à la définition de la fraude aux droits de l’assureur, rendant ainsi recevable sa tierce opposition.
De façon très pédagogique, la cour de cassation rappelle tout d’abord que la décision judiciaire condamnant l’assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l’assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre (Cass, 1ère civ, 29 octobre 2014, n° 13-23.506).
La cour de cassation rappelle encore que la fraude, qui rend recevable la tierce opposition de l’assureur à l’encontre de la décision judiciaire condamnant son assuré à réparation, qui peut être le fait de l’assuré ou du tiers victime (Cass, 1ère civ, 27 avril 1994, n° 92-10.905), ne peut pas être déduite de la seule absence d’appel en la cause de l’assureur dans l’instance opposant le tiers lésé à l’assuré (Cass, 1ère civ, 2 juillet 1991, n° 89-21.622 ; Cass, 2ème civ, 22 octobre 2020, n° 19-21.854).
Pour autant, en l’espèce, la cour considère que la situation de fraude est suffisamment caractérisée, dès lors que les consorts X avaient délibérément engagé leur procédure qu’à l’encontre du constructeur, qui n’avait pas constitué avocat, excluant ainsi l’assureur du débat contradictoire, alors même qu’ils avaient parfaitement connaissance du refus de garantie de l’assureur RC décennale, du fait du caractère apparent de la non-conformité altimétrique non réservée à la réception.
Et la cour de cassation, pour rejeter le pourvoi, d’indiquer que :
« Ayant souverainement retenu que les maîtres de l’ouvrage, qui connaissaient la position de non-garantie de l’assureur en raison du caractère apparent du désordre, avaient délibérément omis de l’informer de l’instance engagée contre le constructeur ou de l’attraire dans la cause pour le mettre devant le fait accompli, elle a, par ce seul motif, caractérisé la fraude aux droits de l’assureur et en a exactement déduit que sa tierce opposition était recevable. »