Les époux B… sont propriétaires d’une maison d’habitation qui est détruite accidentellement par un incendie, dont les conséquences dommages sont prises en charge par leur assureur multirisques habitation.
Un an après la réception des travaux de reconstruction de la maison, les époux B… constatent l’apparition de fissures importantes en différents endroits sur les éléments de gros-œuvre.
Une déclaration de sinistre est alors régularisée auprès de la société AXA France IARD, assureur RC décennale de l’entreprise de gros-œuvre, et une expertise amiable est diligentée, ne permettant pas d’identifier de façon certaine l’origine des désordres.
Une expertise judiciaire est donc ordonnée, alors qu’en raison de l’importance des désordres les époux B… ont été contraints de trouver un autre logement avec leurs enfants, leur maison étant devenue inhabitable.
En cours d’expertise judiciaire, la société AXA France IARD versera des provisions au titre des frais de relogement, pour le compte de qui il appartiendra.
Après avoir réalisé d’importantes investigations techniques, l’expert judiciaire conclura que les désordres sont imputables à la présence d’éléments d’ettringite secondaire dans le sol.
A la suite du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, la société AXA France IARD, assureur RC décennale de l’entreprise de gros-œuvre, a pris l’initiative d’indemniser les époux B… de leur préjudice matériel (420.000,00 euros), dans le cadre d’un accord transactionnel, à l’exception des préjudices immatériels en l’absence d’accord sur ce point entre les parties.
Il était notamment sollicité le versement d’indemnités conséquentes au titre du préjudice moral au profit des époux B… et de leurs trois enfants (101.500,00 euros, soit une somme de 500,00 euros par mois et par adulte et une somme de 150,00 euros par mois et par enfant sur la même période d’indemnisation).
La société AXA France IARD, en sa qualité d’assureur de l’entreprise de gros-œuvre, ne contestait pas sa garantie RC décennale, mais faisait valoir le caractère excessif de la réclamation des consorts B…, raison pour laquelle il n’avait pas été possible de parvenir à un règlement amiable sur le tout.
Par un jugement en date du 5 février 2020, le tribunal judiciaire de Nevers devait condamner la société AXA France IARD à payer aux époux B… une somme de 15.000,00 euros, chacun, au titre de leur préjudice moral, et à chacun des trois enfants une somme de 5.000,00 euros à ce titre, soit une somme totale de 45.000,00 euros en réparation du préjudice moral des consorts B….
L’assureur a interjeté appel de cette décision, uniquement sur l’indemnisation du préjudice moral.
Dans le cadre de ses écritures d’appel, la société AXA France IARD faisait valoir qu’elle avait été parfaitement diligente et qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée dans le suivi du dossier ; ajoutant que l’assureur responsabilité civile décennale n’avait pas vocation à prendre en charge des préjudices immatériels subis par d’autres personnes que les maîtres de l’ouvrage, et qu’en tout état de cause le préjudice moral allégué résultait, non pas des désordres, mais du temps consacré à la résolution du litige en l’absence de souscription par les maîtres de l’ouvrage d’une assurance dommages ouvrage.
Par un arrêt en date du 25 mars 2021, la Cour d’appel de Bourges infirme le jugement entrepris et déboute les consorts B… de leurs demandes, au terme d’une motivation intéressante.
Après avoir considéré que l’existence d’un préjudice moral subi par les trois enfants mineurs n’était pas suffisamment caractérisée, les juges d’appel ont estimé qu’il en allait différemment pour les époux B…, qui justifiaient de la matérialité de leur préjudice par la production d’attestations émanant de tiers au cercle familial et de prescriptions médicales.
Toutefois, les juges d’appel relèvent :
- D’une part, que le dossier s’est avéré sur le plan technique particulièrement compliqué, alors que l’expert judiciaire, et avant lui l’expert technique mandaté par l’assureur RC décennale, ont réalisé des investigations complexes sans résultat, la cause des désordres affectant la maison étant « peu courante dans le domaine du bâtiment »,
- D’autre part, que l’assureur a présenté aux époux B… une offre de règlement transactionnel dans les deux mois du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.
Sur ce, la cour d’appel réforme la décision entreprise en ce qu’elle a alloué des indemnités au titre du préjudice moral aux époux B…, aussi bien en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs trois enfants mineurs, au motif que :
« au vu de l’ensemble de ces éléments, c’est à bon droit que les appelantes soutiennent que le préjudice moral de Monsieur et Madame B…, établi par les prescriptions médicales du Docteur B… à une date où l’expertise judiciaire était encore en cours, résulte, non pas des désordres imputables à l’assuré de la société AXA France IARD, mais au temps nécessaire à la recherche de l’imputabilité des désordres ainsi qu’à la recherche de la solution technique pour y remédier ».