Maurice SENE, SELARL ANTARIUS AVOCATS (juriste)
L’actualité juridique du dernier trimestre de l’année 2020 sera également marquée par un arrêt de la 3ème chambre civile de la cour de la cassation en date du 12 novembre 2020 (Cass, 3ème civ, 12 novembre 2020, n° 19-22.376).
A l’origine de cette affaire, les époux UIM avaient fait construire une maison d’habitation dont une partie des travaux avait été réalisée sous leur maîtrise d’ouvrage par une entreprise assurée auprès de la société Axa France IARD, l’ouvrage ayant été réceptionné le 3 décembre 2002.
Après la vente de l’immeuble, les époux Q.H s’étant plaints de désordres affectant l’immeuble, ils ont obtenu la condamnation in solidum des époux UIM, leurs vendeurs, et de la société AXA France IARD, assureur RC décennale du constructeur, à les indemniser de leurs différents chefs de préjudices sur le fondement des articles 1792-1 2° et 1792 du code civil.
Les époux UIM avaient alors sollicité la garantie de la société AXA France IARD par des écritures signifiées le 18 octobre 2016, soit postérieurement au délai d’épreuve de la garantie décennale, au principal sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
La société AXA France IARD estimait que leur action était irrecevable, dès lors que les seuls fondements qui s’offraient à eux s’inscrivaient dans le cadre des principes de la responsabilité légale des constructeurs et que l’action en garantie n’ayant pas été introduite dans le délai de dix ans à compter de la réception des ouvrages, c’est-à-dire, au plus tard le 3 décembre 2012, elle était nécessairement forclose.
Au demeurant, comme il est rappelé dans l’arrêt, le délai de l’article 1792-4-1 du code civil est un délai d’épreuve, de telle sorte que toute action, même récursoire, ne peut être exercée plus de dix ans après le prononcé de la réception.
Pourtant, dans un arrêt en date du 10 janvier 2019, la cour d’appel de Toulouse n’avait pas entendu les choses de cette oreille, en écartant la fin de non-recevoir soulevée par la société AXA France IARD, au motif que « [les maîtres de l’ouvrage] ont été condamnés à indemniser leurs acquéreurs sur le fondement de l’article 1792-1 2° du code civil, en qualité de constructeurs et non de maîtres de l’ouvrage, qualité qu’ils ont perdue par la vente de celui-ci, et qu’ils agissent comme constructeurs contre la société Axa, assureur de l’entreprise qui a réalisé la maçonnerie et avec laquelle ils s’étaient liés contractuellement, de sorte que leur recours en garantie est fondé sur la responsabilité de droit commun ».
En retenant que l’action en garantie pouvait être exercée par les époux UIM sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, la cour d’appel la rendait recevable par application des dispositions de l’article 2224 du code civil, puisqu’ayant été exercée dans le délai de 5 ans à compter de la connaissance du droit à agir.
C’est cette décision qui a été censurée par la cour de cassation dans son arrêt en date du 12 novembre 2020, sur le pourvoi inscrit par la société AXA France IARD.
I.LE REGIME DE RESPONSABILITE DU RECOURS EN GARANTIE DU MAITRE DE L’OUVRAGE A L’ENCONTRE DE L’ENTREPRISE DE TRAVAUX POSTERIEUREMENT A LA VENTE DE L’IMMEUBLE :
A.La transmission de la garantie décennale entre le vendeur et son acquéreur :
La garantie décennale se transmet par principe avec la propriété de l’immeuble auquel elle est attachée, raison pour laquelle la jurisprudence considère que :
« Sauf clause contraire, les acquéreurs successifs d’un immeuble ont qualité à agir, même pour les dommages nés antérieurement à la vente et ce nonobstant l’action en réparation intentée par le vendeur avant cette vente, contre les constructeurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun qui accompagne l’immeuble en tant qu’accessoire » (Cass, 3ème civ, 10 juillet 2013, n° 12-21910).
Pour autant, cette circonstance ne signifie nullement que le maître de l’ouvrage perd le bénéfice de la garantie décennale, ce que rappelle d’ailleurs l’arrêt commenté, en indiquant que « si l’action en garantie décennale se transmet en principe avec la propriété de l’immeuble aux acquéreurs, le maître de l’ouvrage ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain. Tel est le cas lorsqu’il a été condamné à réparer les vices de cet immeuble ».
Cette analyse est parfaitement conforme à la jurisprudence de la cour de cassation, ce qu’elle ne manque d’ailleurs pas de rappeler dans sa décision en citant au paragraphe 6. deux arrêts conformes (Cass, 3ème civ, 20 avril 1982, n° 81-10.026 ; Cass, 3ème civ, 9 février 2010, n° 08-18.970).
Si la propriété de l’immeuble « se transfert » du fait de la vente, pour sa part la garantie décennale « se transmet » à l’acquéreur.
La nuance est importante, dès lors que si un transfert suggère une dépossession, une transmission induit quant à elle le passage d’une chose ou d’un droit à un tiers, sans nécessairement que son auteur en soit dépossédé définitivement.
On transmet un savoir, on ne le transfert pas.
Pour se prévaloir du bénéfice des garanties légales des constructeurs, le maître d’ouvrage doit simplement justifier d’un intérêt direct et certain, ce qui sera le cas chaque fois qu’il aura été condamné à indemniser les conséquences dommageables de désordres affectant l’ouvrage vendu, nonobstant l’absence de toute mention particulière dans l’acte authentique de vente.
B.Le caractère exclusif de la garantie légale des constructeurs :
La cour de cassation ne manque pas de rappeler encore une fois que :
« Les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ».
Faisant application de la règle « specialia generalibus derogant », la cour de cassation indique en effet très régulièrement que « même s’ils ont pour origine une non-conformité aux stipulations du contrat, les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ». (Cass, 3ème civ, 13 avril 1988, n° 86-17.824 ; Cass. 3ème civ, 9 juillet 1997, n° 95-17.669).
Il s’impose donc au maître de l’ouvrage qui a vendu son immeuble, et qui entend agir en garantie à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs, d’engager son action sur le fondement de la garantie légale des constructeurs dans les délais prescrits par les articles 1792-4-1 et suivants du code civil.
On aurait ainsi pu écrire : « si l’action en garantie décennale se transmet en principe avec la propriété de l’immeuble aux acquéreurs, le maître de l’ouvrage ne la perd pas et il est tenu de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain. Tel est le cas lorsqu’il a été condamné à réparer les vices de cet immeuble ».
Dans son arrêt en date du 12 novembre 2020, la cour de cassation sanctionne la cour d’appel de Toulouse pour avoir considéré que les maîtres d’ouvrage, tenus à réparation à l’égard des acquéreurs, in solidum avec l’assureur RC décennale du constructeur, pouvaient agir en garantie au titre de la contribution à la dette sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, les faisant ainsi échapper à la forclusion de l’article 1792-4-1 du code civil.
II.LE REGIME DE PRESCRIPTION DU RECOURS EN GARANTIE DU MAITRE DE L’OUVRAGE A L’ENCONTRE DE L’ENTREPRISE DE TRAVAUX POSTERIEUREMENT A LA VENTE DE L’IMMEUBLE :
Le régime de la prescription du recours en garantie du maître de l’ouvrage qui a vendu son immeuble, à l’encontre du constructeur ou de son assureur, est nécessairement déterminé par la qualité qui lui est conférée du fait de la cession du bien.
Il sera en effet rappelé, qu’en application des dispositions de l’article 1792-1 2° du code civil, est réputée constructeur de l’ouvrage toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire.
Etant réputé constructeur d’un ouvrage, celui qui vend dans le délai de 10 ans de l’achèvement des travaux un ouvrage qu’il a construit ou fait construire, répond donc de la garantie décennale (Cass, 3ème civ, 16 mai 2019, pourvoi n° 18-14483).
A cet égard, la cour d’appel de Toulouse avait retenu que les maîtres de l’ouvrage, qui avaient été condamnés à indemniser leurs acquéreurs sur le fondement de l’article 1792-1 2° du code civil, l’avaient alors nécessairement été en qualité de constructeurs et non de maîtres d’ouvrage, qualité qu’ils avaient perdue par la vente de l’immeuble :
« 9. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Axa, l’arrêt retient que M. et Mme IM ont été condamnés à indemniser leurs acquéreurs sur le fondement de l’article 1792-1 2° du code civil, en qualité de constructeurs et non de maîtres de l’ouvrage, qualité qu’ils ont perdue par la vente de celui-ci. »
Sur ce, en considérant qu’il s’agissait d’un recours entre coobligés constructeurs, la cour d’appel de Toulouse avait anticipé la jurisprudence de la cour de cassation du 16 janvier 2020, en faisant application du régime de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil (voir le commentaire de Cyrille Charbonneau à la RDI n° 11 de novembre 2020 sur le point de départ du délai de prescription de droit commun et l’arrêt Cass, 3ème civ, 1er octobre 2020, n° 19-13.131).
Il sera en effet rappelé que, dans ses trois décisions du 16 janvier 2020, la 3ème chambre civile de la cour de cassation a clairement indiqué que : « Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2020, n° 18-25.915 ; 18-21.895 ; 16-24.352, confirmé par Cass, 3ème civ, 05 novembre 2020, n° 19-20.237).
L’analyse des juges d’appel est sanctionnée par la cour de cassation, qui considère que les vendeurs n’ont jamais perdu leur qualité de maître d’ouvrage, malgré la vente de l’immeuble, de sorte qu’il leur incombait d’agir dans le délai de 10 ans à compter de la réception des ouvrages, s’agissant d’un recours exercé par un maître d’ouvrage à l’encontre d’un locateur d’ouvrage, dans le cadre des dispositions de l’article 1792-4-1 du code civil.
Ainsi donc, si le maître de l’ouvrage est réputé constructeur du fait de la vente de son bien, il ne devient pas pour autant un constructeur à part entière et ne perd pas les droits et obligations qui s’attachent à sa qualité de maître d’ouvrage.