Commentaires du jugement du Tribunal administratif de NANTES, 14 décembre 2016, Commune de GENEST SAINT ISLE, n°1503307 et du jugement du Tribunal administatif de NANTES, 1er mars 2017, Commune de LOURESSE ROCHEMENIER, n°1409690
L’intervention volontaire de l’assureur de responsabilité décennale est habituellement jugée irrecevable devant le juge administratif, qui retient alors que : « Considérant que l’assureur d’un constructeur dont la responsabilité en matière de travaux est recherchée par le maître de l’ouvrage n’est pas recevable à intervenir en cette qualité devant le juge administratif saisi du litige » (CAA Marseille, 19 octobre 2016, n° 15MA03322 ; CAA Marseille, 20 juin 2016, n° 15MA03650 ; CAA Lyon, 12 février 2015, n° 13LY02646).
Cette jurisprudence s’appuie sur une décision des 7ème et 2ème sous sections réunies du Conseil d’Etat rendue le 18 novembre 2011 dans une affaire intéressant la société AXA France IARD dont l’assuré, placé en liquidation judiciaire, avait été condamné sur le fondement des principes dont s’inspirent les dispositions de l’article 1792 du Code civil.
La situation de l’assureur de responsabilité décennale qui risque de voir la responsabilité décennale de son assuré engagée sur le fondement des principes dont s’inspirent les dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil, sans avoir jamais pu formuler la moindre observation en défense devant le juge administratif compte tenu de l’irrecevabilité de son intervention, n’est pas satisfaisante.
Il est en effet évident que l’assureur de responsabilité décennale ne peut pas sérieusement contester sa garantie devant le juge judiciaire, lorsque le tribunal administratif s’est d’ores et déjà prononcé dans les termes d’un jugement définitif.
Quand bien même le juge civil ne serait pas tenu de suivre la décision rendue par la juridiction administrative, l’assureur pourra difficilement refuser de garantir son assuré une fois les caractéristiques de la responsabilité décennale identifiées par un juge de l’ordre administratif.
Il en résulte que dans l’hypothèse d’école (fréquente) où un assuré ne se défend pas, ou lorsque l’assuré et l’assureur ont des intérêts divergents, l’assureur risque de voir la responsabilité décennale de son assuré et donc sa garantie décennale mobilisée sans avoir jamais eu la possibilité de répondre devant le juge administratif.
Dans une décision rendue le 18 novembre 2011, le Conseil d’Etat a confirmé un arrêt de la Cour administrative d’appel en tant qu’elle avait jugé irrecevable l’appel exercé par la société AXA France IARD, en qualité d’intervenant volontaire, sans pour autant revenir sur le jugement du tribunal administratif qui avait admis la recevabilité de l’intervention volontaire.
De manière intéressante, le Professeur René Chapus propose dans son ouvrage Droit du contentieux administratif, de distinguer l’intervention volontaire en cours d’instance, de la situation dans laquelle l’intervenant volontaire fait appel d’un jugement, l’appel devant alors être déclaré irrecevable, selon une jurisprudence constante.
Le Conseil d’Etat a volontairement choisi de ne pas se prononcer sur l’intervention volontaire de l’assureur en première instance dans sa décision du 18 novembre 2011, ce qui pourrait ouvrir la voie à une évolution de la jurisprudence actuelle, par trop restrictive.
En effet, l’assureur de responsabilité décennale dispose d’un intérêt personnel à défendre ses droits, même s’il ne s’agit pas de droits à caractère administratif, dans la mesure où il a vocation à indemniser le requérant – autorité publique – aux lieu et place du constructeur, lorsque sa responsabilité décennale est engagée.
La garantie de l’assureur de responsabilité civile décennale étant nécessairement enclenchée – ou non – par la qualification de désordre de nature décennale éventuellement retenue – ou non – par le juge, il apparaît justifié que l’assureur soit en mesure de s’exprimer sur ce point, dans le respect des droits de la défense.
C’est dans ces conditions qu’il a pu être soutenu devant le tribunal administratif de Nantes que l’assureur de responsabilité civile décennale dispose d’un droit propre (contester les conditions de mise en oeuvre de sa garantie) auquel la décision du tribunal administratif est susceptible de préjudicier (en le privant de la possibilité de s’opposer à la mobilisation de la responsabilité de son assuré), de sorte qu’il doit être déclaré recevable à former une intervention volontaire dans le cadre des instances introduites devant la juridiction administrative.
Par deux décisions, le tribunal administratif de Nantes a suivi cette analyse et a déclaré recevable l’intervention volontaire à l’instance de l’assureur de responsabilité décennale :
- TA Nantes, 14 décembre 2016, Commune de Genest Saint Isle, n° 1503307
- TA Nantes, 1er mars 2017, Commune de Louresse Rochemenier, n° 1409690